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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

poing, qui courageusement vint assembler à la bataille des Bretons, desquels messire Bertran étoit chef ; et là fit maintes grands appertises d’armes, car il fut hardi chevalier durement.

Donc s’espardirent ces batailles, ces chevaliers et ces écuyers, sur ces plains, et commencèrent à lancer, à férir et à frapper de toutes armures, ainsi que ils les avoient à main, et à entrer l’un en l’autre par vasselage, et eux combattre de grand’volonté. Là crioient les Anglois et les Navarrois d’un lez : Saint-George, Navarre ! et les François : Notre-Dame, Guesclin ! Là furent moult bons chevaliers du côté des François, premièrement messire Bertran du Guesclin, le jeune comte d’Aucerre, le vicomte de Beaumont, messire Baudouins d’Ennequins, messire Louis de Châlons, le jeune sire de Beaujeu messire Anthoine qui là leva bannière, messire Louis de Havesquierque, messire Oudard de Renty, messire Enguerran d’Eudin ; et d’autre part les Gascons qui avoient leur bataille et qui se combattoient tout à part eux ; premièrement messire Aymon de Pommiers, messire Perducas de Labreth, monseigneur le soudich de l’Estrade, messire de Courton et plusieurs autres tous d’une sorte. Et s’adressèrent ces Gascons à la bataille du captal et des Gascons : aussi ils avoient grand’volonté d’eux trouver. Là eut grand hutin et dur poignis, et fait maintes grands appertises d’armes. Et pour ce que en armes on ne doit point mentir à son pouvoir, on me pourroit demander que l’archiprêtre qui là étoit, un grand capitaine, étoit devenu, pour ce que je n’en fais nulle mention. Je vous en dirai la vérité. Si très tôt que l’archiprêtre vit l’assemblement de la bataille, et que on se combattroit, il se bouta hors des routes : mais il dit à ses gens et à celui qui portoit sa bannière : « Je vous ordonne et commande, sur quant que vous vous pouvez mes-faire envers moi, que vous demeurez et attendez fin de journée ; je me pars sans retourner ; car je ne me puis huy combattre ni être armé contre aucun des chevaliers qui sont pardelà ; et si on vous demande de moi si en répondez ainsi à ceux qui en parleront. » Adonc se partit-il, et un sien écuyer tant seulement, et repassa la rivière et laissa les autres convenir. Oncques François ni Bretons ne s’en donnèrent garde, pourtant que ils véoient ses gens et sa bannière, jusques en la fin de la besogne, et le cuidoient de-lez eux avoir. Or vois parlerai de la bataille, comment elle fut persévérée, et des grands appertises d’armes qui y furent faites celle journée.


CHAPITRE CLXXVI.


Comment le captal fut ravi et emporté de la bataille, voyans toutes ses gens, dont fortement furent courroucé.


Du commencement de la bataille, quand messire Jean Juviel fut descendu et toutes gens le suivoient du plus près qu’ils pouvoient, et mêmement le captal et sa route, ils cuidèrent avoir la journée pour eux ; mais il en fut tout autrement. Quand ila virent que les François étoient retournés par bonne ordonnance, ils connurent tantôt que ils s’étoient forfaits : néanmoins, comme gens de grand’emprise, ils ne s’ébahirent de rien, mais eurent bonne intention de tout recouvrer par bien combattre. Si reculèrent un petit et se remirent ensemble ; et puis s’ouvrirent, et firent voie à leurs archers qui étoient derrière eux, pour traire. Quand les archers furent devant, si se élargirent et commencèrent à traire de grand’manière ; mais les François étoient si fort armés et pavoisés contre le trait, que oncques ils n’en furent grévés, si petit non, ni pour ce ne se laissèrent-ils point à combattre ; mais entrèrent dedans les Navarrois et Anglois tous à pied, et iceux entre eux de grand’volonté. Là eut grand boutis des uns et des autres ; et tolloient l’un l’autre, par force de bras et de lutter, leurs lances et leurs haches et les armures dont ils se combattoient ; et se prenoient et fiançoient prisonniers l’un l’autre ; et se approchoient de si près que ils se combattoient main à main si vaillamment que nul ne pourroit mieux. Si pouvez bien croire que en telle presse et en tel péril il y avoit des morts et des renversés grand’foison ; car nul ne s’épargnoit d’un côté ni d’autre. Et vous dis que les François n’avoient que faire de dormir ni de reposer sur leur bride, car ils avoient gens de grand fait et de hardie entreprise à la main : si convenoit chacun acquitter loyaument à son pouvoir, et défendre son corps, et garder son pas, et prendre son avantage quand il venoit à point ; autrement ils eussent été tous déconfits. Si vous dis pour vérité que les Picards et les Gascons y