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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

roi Jean et tout son royaume furent grandement réjouis, quand ils se virent quittes de tels gens : mais encore en retournèrent assez en Bourgogne ; et ne se partit mie adonc messire Seguin de Batefol qui tenoit sa garnison de Ause, pour traité ni chose que on lui sçut promettre. Mais le dit royaume en plusieurs lieux fut plus en paix que devant, quand les plus grands routes des Compagnies en furent parties et passées outre avec le dit marquis en la terre de Piémont. Lequel marquis en fit trop bien sa besogne sur les seigneurs de Milan, et conquit villes, châteaux, forteresses et pays sur eux, et eut plusieurs rencontres et escarmouches sur eux à l’honneur et profit de lui ; et le mirent les Compagnies, dedans un an ou environ, tout au dessus de sa guerre, et lui firent en partie avoir son entente des deux seigneurs de Milan, monseigneur Galéas et monseigneur Barnabo, qui depuis régnèrent en grand’prospérité. Et quand la paix fût faite entr’eux et le marquis, les aucuns de ces Compagnies, qui avoient assez gagné et qui étoient tannés de guerroyer, retournèrent en leurs nations : mais la plus grand’partie se mirent encore à mal faire et retournèrent en France. Dont il avint que messire Seguin de Batefol, qui s’étoit tenu tout le temps en sa garnison de Ause sur la rivière de Saône prit, embla et échella une bonne cité en Auvergne que on dit Briode et siéd sur la rivière d’Allier. Si se tint là dedans plus d’un an, et la fortifia tellement qu’il ne doutoit nul homme ; et couroit tout le pays d’environ jusques au Puy, jusques à la Case Dieu, jusques à Clermont, jusques à Tillach[1], jusques à Montferrant, à Riom, à la Nonnète, à Issoire, à Vaudable, à Saint-Bonnet, Lastic et toute la terre le comte Dauphin, qui étoit pour le temps hostagier en Angleterre ; et y fit trop durement de grands dommages. Et quand il eut honni et appovri le pays de là environ, il s’en partit par accord et par traité, et emmena tout son pillage et son grand trésor, et se retrait en Gascogne dont il s’étoit parti et yssu. Du dit monseigneur Seguin ne sçais-je plus avant, fors tant que j’ai ouï dire depuis qu’il mourut assez merveilleusement. Dieu lui pardoint tous ses méfaits !


CHAPITRE CLV.


Comment le duc Henri de lancastre trépassa de ce siècle ; et comment aussi le jeune duc de Bourgogne trépassa en ce temps.


En ce temps trépassa de ce siècle, en Angleterre, le gentil duc de Lancastre[2], de quoi le roi et tous les hauts barons du pays furent durement courroucés, si amender le pussent. De lui demeurèrent deux filles, madame Mahault et madame Blanche ; l’ains-née eut le comte Guillaume de Hainaut fils à monseigneur Louis de Bavière et à madame Marguerite de Hainault, et l’autre eut mon seigneur Jean comte de Richemont, fils au roi d’Angleterre, qui fut depuis duc de Lancastre de par madame sa femme, par la mort du dit Henry de Lancastre. Et demeura le traité à poursuivre de monseigneur Jean de Montfort duc de Bretagne et de monseigneur Charles de Blois qui avoient été pourparlés en la ville de Calais, si comme ci-dessus est dit ; dont grands maux et grands guerres avinrent depuis au pays de Bretagne, si comme vous orrez avant en l’histoire,

Auques en celle saison trépassa de ce siècle le jeune duc de Bourgogne qui s’appeloit messire Philippe[3], par laquelle mort eschéirent plusieurs pays, car il étoit grand sire durement : premièrement duc de Bourgogne, comte de Bourgogne, comte d’Artois, d’Auvergne et de Boulogne Palatin, et sire de Salins, lequel avoit à femme une jeune dame fille au comte Louis de Flandre, de l’une des filles le duc de Jean de Brabant : dont il avint que, par proismeté, madame Marguerite mère au dit comte de Flandre se traist à la comté d’Artois et à la comté de Bourgogne[4], et en fit foi et hommage au roi de France. Aussi messire Jean de Boulogne fut comte d’Auvergne, et lui vint par droite succession la comté de Boulogne, et en devint homme au roi de France. Avecques tout ce, le roi Jean de France par prochaineté retint et prit la duché de Bourgogne et tous les droits de Champagne, dont il déplut grandement au roi de Navarre, si

  1. Peut-être Thiezac, bourg près de Saint-Flour.
  2. Henri duc de Lancastre mourut de la peste en 1360.
  3. Philippe de Rouvre, dernier duc de Bourgogne, de la première maison royale de Bourgogne, mourut le 21 novembre de cette année.
  4. Cette princesse était fille du roi Philippe-le-Long et de Jeanne comtesse de Bourgogne. Elle recueillit les comtés de Bourgogne et d’Artois du chef de sa mère.