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LIVRE I. — PARTIE II.

étoient que on alloit combattre les compagnies en trop grand péril au parti où ils étoient et se tenoient, et que on se souffrît tant qu’on les eût éloignés de ce fort où ils s’étoient mis, si les auroit-on plus à aise : mais ils n’en purent oncques être ouïs.

Ainsi que messire Jacques de Bourbon et les autres seigneurs, bannières et pennons devant eux, approchoient et costioient celle montagne, les plus nices et les pis armés des compagnies les affouloient ; car ils jetoient si ouniement et si roidement ces pierres et ces cailloux sur ces gens d’armes, qu’il n’y avoit si hardi ni si bien armé qui ne les ressoignât. Et quand ils les eurent tenus en cel état et bien battus une grand’espace, leur grosse bataille fraîche et nouvelle vint autour de celle montagne, et trouvèrent une autre voie, et étoient aussi drus et aussi serrés comme une brouisse, et avoient leurs lances toutes recoupées à la mesure de six pieds ou environ ; et puis s’en vinrent en cel état de grand’volonté, en écriant tous d’une voix, Saint George ! férir en ces François. Si en renversèrent à celle première empeinte plusieurs par terre. Là eut grand rifflis et grand touillis des uns et des autres, et se abandonnoient et combattoient ces compagnies si très hardiment que merveilles seroit à penser, et reculèrent les François. Et là fut l’archiprêtre un bon chevalier et vaillamment se combattit, mais il fut si entrepris et si mené par force d’armes qu’il fut durement navré et blessé et retenu à prison, et plusieurs chevaliers et écuyers de sa route. Que vous ferois-je long parlement ? De celle besogne dont vous oyez parler, les François en eurent pour lors le pieur ; et y furent durement navrés messire Jacques de Bourbon, et aussi fut messire Pierre son fils ; et y fut mort le jeune comte de Forez, et pris messire Regnault de Forez son oncle, le comte d’Uzès, messire Robert de Beaujeu, messire Louis de Châlons et plus de cent chevaliers : encore à grand’dureté furent rapportés en la cité de Lyon sur le Rhône messire Jacques de Bourbon et messire Pierre son fils. Cette bataille de Brinais fut l’an de grâce Notre Seigneur 1361 le vendredi après les grands Pâques[1].


CHAPITRE CLI.


Comment les Compagnies gâtèrent et exillèrent la comté de Forez et le pays environ ; et comment ils prirent le Pont-Saint-Esprit et y firent moult de maux.


Trop furent ceux des marches, où ces compagnies se tenoient, ébahis, quand ils ouïrent recorder que leurs gens étoient déconfits ; et n’y eut si hardi ni tant eut bon châtel et fort qui ne frémît, car les sages supposèrent et imaginèrent tantôt que grands meschefs en naîtroient et multiplieroient, si Dieu proprement n’y mettoit remède. Ceux de Lyon furent moult ébahis et effréés quand ils entendirent que la journée étoit pour les Compagnies : toutes fois ils recueillirent moult doucement toutes manières de gens qui de la bataille retouuroient. Et furent par espécial moult courroucés de la destourbe de mon seigneur Jacques de Bourbon et de mon seigneur Pierre son fils ; et les vinrent moult doucement visiter, et les dames et les damoiselles de la ville dont ils étoient bien aimés.

Mon seigneur Jacques de Bourbon trépassa de ce siècle le tiers jour après ce que la bataille eut été, et messire Pierre son fils ne vesqui guères longuement depuis. Si furent de tous plaints et regrettés. De la mort de mon seigneur Jacques de Bourbon fut le roi de France son cousin moult

  1. Pâques arriva cette année le 28 mars ; le vendredi suivant fut donc le 2 avril. Cette date ne s’accorde point avec celle de l’épitaphe de Jacques de Bourbon et de son fils qui sont enterrés à la droite du grand autel de l’église des dominicains de Confort. On lit sur leur tombeau : Cy gist messire Jacques de Bourbon, comte de La Marche, qui mourut à Lyon de la bataille de Bngnais qui fut l’an 1362 le mercredy devant les ramos. Item, cy gist messire Pierre de Bourbon, comte de La Marche son fils qui mourut à Lyon de ceste mesme bataille l’an dessus dit. Si l’autorité de cette épitaphe était la seule qu’on pût opposer à la chronologie de Froissart, peut-être devrait-on adopter celle-ci de préférence, d’autant plus que Sauvage, qui avait examiné ce monument, dit (dans son annotation 89) que de son temps l’écriture de l’inscription était toute fraîche et presque moderne. Mais les Chroniques de France viennent à l’appui de l’épitaphe : on y lit, que la bataille de Brignais se donna le 6 avril 1361 (1362) avant Pâques. Or en 1362 Pâques fut le 17 avril ; ainsi le 6 de ce mois fut le mercredi avant les Rameaux ; ce qui cadre parfaitement avec la date de l’épitaphe. L’auteur d’une des vies du pape Innocent VI place de même cet événement sous l’année 1362, après avoir parlé de choses arrivées au mois de mars de cette année. On ne saurait donc nier que Froissart ne se soit trompé sur la date de cette bataille. Je continuerai cependant de coter au haut des pages l’année 1361, parce que plusieurs des faits que l’historien raconte après celui-ci appartiennent à cette année, sauf à remarquer en note ceux qui lui seraient postérieurs.