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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

dessous, en un lieu où on ne les pouvoit aviser ni approcher, la droite moitié de leurs gens et les mieux armés et enharnachés. Et laissèrent, tout de fait appensé, ces coureurs françois approcher si près d’eux, que ils les eussent bien eus s’ils eussent voulu ; mais ils les laissèrent retourner sans dommage devers monseigneur Jacques de Bourbon et le comte d’Uzès et messire Regnault de Forez et les seigneurs qui là les avoient envoyés. Si en recordèrent au plus près qu’ils purent de ce qu’ils avoient vu, et dirent ainsi : « Nous avons vu les Compagnies rangées et ordonnées sur un tertre, et bien avisées à notre loyal pouvoir ; mais tout considéré, ils ne sont pas plus de cinq ou six mille hommes là environ, et encore sont-ils mal armés. » Quand messire Jacques de Bourbon ouït ce rapport, si dit à l’archiprêtre qui étoit assez près de lui : « Archiprêtre, vous m’aviez dit qu’ils étoient bien quinze mille combattans, et vous oez tout le contraire. » — « Sire, repondit l’archiprêtre, encore n’en y cuidé-je mie moins ; et s’ils n’y sont, Dieu y ait part, c’est pour nous : si regardez que vous en voulez faire. » — « En nom de Dieu, répondit messire Jacques de Bourbon, nous les irons combattre au nom de Dieu et de Saint George. » Là fit le dit messire Jacques arrêter sur les champs toutes ses bannières et ses pennons, et ordonna ses batailles et mit en très bon arroy, ainsi que pour tantôt combattre, car ils véoient leurs ennemis devant eux ; et fit là plusieurs nouveaux chevaliers. Premièrement son fils ains-né messire Pierre, et leva bannière ; et son neveu le jeune comte de Forez, et leva bannière aussi ; et le seigneur de Villars et de Roussillon, et leva bannière ; et le sire de Tournon et le sire de Mont-Limar et le sire de Groslée du Dauphiné.

Là étoient messire Robert et messire Louis de Beaujeu, messire Louis de Châlons, messire Hugues de Vienne, le comte d’Uzès et plusieurs bons chevaliers et écuyers de là environ, qui tous se désiroient à avancer pour leur honneur, et ruer jus ces Compagnies qui vivoient sans nul titre de raison. Si fut ordonné l’archiprêtre, qui s’appeloit messire Regnault de Servolle, à gouverner la première bataille, et l’entreprit volontiers, car il fut hardi et appert chevalier durement ; et avoit en sa route plus de quinze cents combattans. Ces gens de compagnies, qui étoient en une montagne, véoient trop bien l’ordonnance et le convine des François ; mais on ne pouvoit voir le leur, ni eux approcher fors à meschef et à danger ; et étoient sur une montagne où il avoit plus de mille charretées de tous cailloux ; ce leur fit trop d’avantage et de profit : je vous dirai par quel avantage. Ces gens d’armes de France qui les désiroient et vouloient combattre, comment qu’il fût, ne pouvoient venir à eux ni approcher, si ils ne costioient celle montagne où ils étoient tous arrêtés : si que quand ils vinrent par dessous eux, ceux d’amont qui étoient tous avisés de leur fait et pourvus chacun de grand’foison de cailloux, car il ne les convenoit que baisser et prendre, commencèrent à jeter si fort sur ceux qui les approchoient, qu’ils effondroient bassinets tant forts qu’ils fussent, et navroient et mes-haignoient tellement gens d’armes que nul ne pouvoit ni osoit aller ni passer avant, tant bien targé qu’il fut. Et fut cette première bataille si foulée que oncques depuis ne se put bonnement aider. Adonc au secours approchèrent les autres batailles messire Jacques de Bourbon, son fils, son neveu et leurs bannières et grand’foison de bonnes gens qui tous s’alloient perdre ; dont ce fut dommage et pitié qu’ils n’ouvrèrent par plus grand avis et meilleur conseil. Bien avoient dit l’archiprêtre et aucuns chevaliers anciens qui là

    forme de rondelle, dont il a eu quelquefois le nom de Montrond et maintenant de Montraud envers aucuns, par langage corrompu. Ce coupeau monstrant encore pour reste de l’enceinct des tranchées du fort des compagnies jusques à trois pieds de profondeur et jusques à cinq ou six de largeur presque tout à l’entour, avec autant de rampar que le temps en a peu souffrir parmi monceaux de caillous au dedans du fort, peut avoir environ cinquante grands pas en diamètre et environ sept vingt en contour ; et devers son occident s’avale si platement qu’il s’évanouit incontinent en une assez grande plaine qui environne tout Brignais. Et de ce costé où devoit estre l’entrée du fort n’y a nulle marque de tranchée par l’espace d’environ douze grands pas ; mais tost après elle recommence vers le midi, duquel costé se trouve une bien petite combe comme le fond d’une vague, se rejetant sur un autre plus bas coupeau nommé le petit Montrond ou Montraud qui s’aplanit incontinent de tout vers Vourles et vers Erigni. Et en telles plaines continues s’estoit cachée la pluspart des compaignies derriere ces deux coupeaux. Si nous fut dit, et a esté souventes fois depuis par gens dignes de foy, qu’il n’y a pas long-temps que l’on a trouvé plusieurs bastons et autres harnois de guerre dedans les terres d’environ. »