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LIVRE I. — PARTIE II.

nous serons si redoutes où nous irons, que nul ne se mettra contre nous ; et si nous perdons, nous serons payés de nos gages. » Cil propos fut entr’eux tenu et arrêté. Si se délogèrent et montèrent contre mont par devers les montagnes pour entrer en la comté de Forez et venir sur la rivière de Loire ; et trouvèrent en leur chemin une bonne ville qui s’appelle Charlieu au baillage de Mâcon. Si l’environnèrent et assaillirent fortement, et se mirent en grand’peine du prendre, et y furent à l’assaut un jour tout entier. Mais rien n’y firent, car elle fut bien gardée et bien défendue des gentils hommes du pays, qui s’y étoient retraits ; autrement elle eût été prise. Ils passèrent outre et s’espardirent parmi la terre le seigneur de Beaujeu, qui marchist illecques, et y firent moult de maux ; et puis tantôt entrèrent en l’archevêché de Lyon ; et ainsi qu’ils alloient et chevauchoient, ils prenoient petits forts où ils se logeoient, et firent moult de destourbiers partout où ils conversèrent[1] ; et prirent un châtel et le seigneur et la dame dedans, lequel château s’appelle Brinay, et est à trois lieues près de Lyon sur le Rhône. Là se logèrent-ils et arrêtèrent ; car ils entendirent que les François étoient tous traits sur les champs et appareillés pour eux combattre.


CHAPITRE CL.


Comment les Compagnies déconfirent messire Jacques de Bourbon et sa route, et y furent le dit messire Jacques et son fils navrés à mort, et le jeune comte de Forez mort.


Ces gens d’armes assemblés avecques messire Jacques de Bourbon, qui se tenoient à Lyon sur le Rhône et là environ, entendirent que ces Compagnies approchoient durement et avoient pris et conquis de force la ville et le châtel de Brinay et encore des autres forts, et gâtoient et exillioient tout le pays. Si déplurent moult ces nouvelles à monseigneur Jacques de Bourbon, pourtant qu’il avoit en gouvernement la comté de Forez, la terre à ses neveux ; et aussi fit-il à tous les autres. Si se mirent aux champs et se trouvèrent grand’foison de bonnes gens d’armes, chevaliers et écuyers ; et envoyèrent devant leurs coureurs pour savoir et aviser vraiment quelles gens ils trouveroient.

Or vous dirai la grand’malice des compagnies. Ils étoient logés sur une montagne[2], et avoient

  1. Il serait difficile de peindre l’état de misère dans lequel les ravages de ces compagnies étrangères avaient plongé la France à cette époque de désordre et de confusion. Le mal était si général qu’on composa alors des prières publiques qu’on ajoutait au service divin pour prier Dieu de détourner ce fléau, comme dans le temps de peste on chante des cantiques analogues. On retrouve quelques-uns de ces cantiques latins dans un manuscrit des œuvres de Machau.
  2. Denis Sauvage avait examiné lui-même ce lieu, et nous en a laissé dans son annotation 88, une description exacte qu’on ne sera pas fâché de rencontrer ici.

    « M’étant retiré comme autrefois, dit-il, en la petite ville-bourgade de Saingenis-Laval, deux lieues françaises par delà Lyon selon la descente du Rosne du costé du royaume, et à une semblable lieue par deçà Briguais, pour vaquer plus solitairement à mes estudes et revoir tiercement les présentes histoires de Froissart devant que les faire imprimer sur ma correction, maistre Mathieu Michel mon hoste et bon ami, précepteur de quelques jeunes enfans de certains bourgeois de Lyon, ayant souvent ouy parler du fait d’armes en suivant à ceux du pays, le matin du vingt-septième jour de juillet 1558 me conduisit, en allant le droit chemin de Saingenis à Brignais, jusques à environ trois quarts de lieues françoises, au bout desquels sur le costé gauche de nostre chemin trouvasmes un petit mont ou tertre couvert d’un petit bosquet de jeunes chesnes et de redrageons de chesneaux en forme de taillis, là où les plus anciens hommes du pays, selon le rapport des ayeuls aux pères et des pères aux fils, disent qu’étoient campées les compaignies qu’ils nomment les Anglois, s’abusant en ce qu’ils pensent que les Anglois aient été défaits en ce lieu. Illec, en conférant la description de nostre auteur au lieu propre, et estant allés jusqu’à la Villette de Brignais, qui n’est qu’à un quart de lieue par delà ce petit mont, et ayant d’avantage circui tout l’environ, trouvasmes que ceste mesme montaignette que les gens du pays appellent le bois du Goyet, estoit vraiment le fort que nostre auteur descrit, et qu’il n’y a rien de faute sinon qu’il la dit ici haute montagne » (cette faute n’existe point dans notre texte, et je ne l’ai remarquée dans aucun manuscrit), « encore qu’elle ne se puisse vraiment nommer que tertre ou colline, comme aussi les abregez ne disent simplement que montaigne. Ceste montaignette, colline ou tertre estant située en une combe aucunement bossue qui tend d’un gros hameau nommé le Perou jusques à Brignais, et flanquée d’une montaigne appelée le Mont-lez-Barolles du costé droit, et d’une autre montaigne prenant son nom du village d’Érigny du costé gauche. Au jour dessus dit pouvoit avoir pour son orient le vrai endroit de la ville de Lyon, pour son midi celui du village de Vourles, pour son occident celui de Brignais, et pour son septentrion le mont des Bariolles beaucoup plus élevé, la descente duquel l’approche si fort qu’il n’y a que le chemin qui mène de Saingenis à Brignais qui fasse la séparation de l’une à l’autre. Du costé de son orient il a une assez belle petite plaine à bas, puis de costé mesme se drece incontinent roidement mais non guères hautement et presque ainsi du costé de septentrion jusques à tant qu’il fait un coupeau comme en