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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

guin de Batefol : cil avoit de sa route bien deux mille combattans. Encore y étoient Talebart Talebardon, Guiot du Pin, Espiote, le petit Meschin, Batillier, François Hennequin, le Bourc[1] Camus, le Bourc de L’Espare, Naudon de Bagerent, le Bourc de Bretuel, Lamit, Hagre l’Escot, Albrest Ourri l’Allemand, Borduelle, Bernart de la Salle, Robert Briquet, Carsuelle, Àymemon d’Ortinge, Garsiot du Chastel, Guionnet de Paux, Hortingo de la Salle et plusieurs autres. Si se avisèrent ces Compagnies, environ la mi-carême, qu’ils se trairoient vers Avignon et iroient voir le pape et les cardinaux : si passèrent outre et entrèrent et coururent en la comté de Mâoon ; et s’adressèrent pour venir en la comté de Forez ce bon gras pays et vers Lyon sur le Rhône.


CHAPITRE CXLVIII.


Comment le roi de France rescripsit à monseigneur Jacques de Bourbon, qui étoit à Montpellier, qu’il prenist grand’foison de gens d’armes pour aller contre les Compagnies.


Quand le roi de France entendit ces nouvelles que ces compagnons multiplioient ainsi, qui gâtoient et exilloient son royaume, si en fut durement courroucé, car il fut dit et remontré, par grand’espécialité de conseil, que ces Compagnies pourroient si multiplier, que ils feroient plus de maux et de vilains faits au royaume de France, ainsi que jà faisoient, que la guerre des Anglois n’eût fait. Si eut avis et conseil le dit roi de envoyer contre, et eux combattre. Si en escripsit le roi de France espécialement et souverainement devers son cousin monseigneur Jacques de Bourbon, qui se tenoit adonc en la ville de Montpellier, et avoit nouvellement mis monseigneur Jean Chandos en la saisine et possession de plusieurs terres, villes, cités et châteaux de la duché de Guyenne, si comme ci-dessus est contenu. Et lui mandoit le roi qu’il se fît chef contre ces Compagnies, et prît tant de gens d’armes de tous côtés, qu’il fût fort assez pour eux combattre. Quand messire Jacques de Bourbon entendit ces nouvelles, il s’avala incontinent devers la cité d’Avignon, sans faire nulle part point d’arrêt ; et envoyoit partout lettres et messages, en priant et commandant les nobles, chevaliers et écuyers, au nom du roi de France ; que ils se traissent avant devers Lyon sur le Rhône, car il vouloit ces males gens combattre. Le dit messire Jacques de Bourbon étoit si aimé parmi le royaume de France, que chacun obéissoit à lui très volontiers. Si le suivoient chevaliers et écuyers de tous côtés, d’Auvergne, de Limousin, de Provence, de Savoye et du Dauphiné de Vienne ; et d’autre part aussi revenoient grand’foison de chevaliers et d’écuyers de la duché ; et de la comté de Bourgogne que le jeune duc de Bourgogne y envoyoit. Si se traioient ces gens d’armes et passoient outre, ainsi qu’ils venoient, devers Lyon sur le Rhône et en la comté de Mâcon. Si s’en vint messire Jacques de Bourbon en la comté de Forez, dont la comtesse de Forez sa sœur étoit dame de par ses enfans ; car son mari le comte de Forez étoit nouvellement trépassé, et gouvernoit pour le temps de lors messire Renault de Forez, frère du dit comte, la comté de Forez, qui recueillit le dit monseigneur Jacques de Bourbon et ses gens moult liement. Et là étoient ses deux neveux, et neveux aussi à monseigneur Jacques de Bourbon, à qui il les présenta moult doucement. Le dit messire Jacques les reçut moult liement et les mit de-lez lui pour chevaucher et eux armer, et pour aider à défendre leur pays, car les Compagnies tiroient à venir celle part.


CHAPITRE CXLIX.


Comment les Compagnies s’en vinrent en la comté de Forez pour trouver messire Jacques de Bourbon ; et comment ils prirent le châtel de Brinay et là se logèrent.


Quand ces routes et ces Compagnies, qui se tenoient vers Châlons sur la Saône et environ Tournus et tout là en ce bon pays, entendirent que les François se recueilloient et s’assembloient pour eux combattre, si se trairent les capitaines pour avoir avis et conseil ensemble comment ils se maintiendroient. Si nombrèrent entr’eux leurs gens et leurs routes, et trouvèrent qu’ils étoient environ seize mille combattans, que uns que autres. Si dirent ainsi entr’eux : « Nous irons contre ces François qui nous désirent à trouver, et nous combattrons à notre avantage si nous pouvons, non mie autrement ; et s’aventure donne que la fortune soit pour nous, nous serons tous riches et recouvrés pour un grand temps, tant en bons prisonniers que nous prendrons, que en ce que

  1. Les mots Bourc ou Bourg et dans les pièces latines Burgus, signifient Bâtard, enfant illégitime.