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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Montfort, en France devers vous ; et ceux auront pouvoir et autorité d’entendre et de prendre tel droit que le dit messire Jean peut avoir de la succession son seigneur son père à la duché de Bretagne, et que vous et votre conseil et le nôtre mis ensemble en ordonneront ; et pour plus grand’sûreté c’est bon que les trêves soient ralongées jusques à la Saint-Jean-Baptiste en suivant. » Ainsi fut-il fait, comme le dessus dit duc de Lancastre le parlementa ; et puis parlèrent les seigneurs d’autre matière.


CHAPITRE CXLIII.


Comment les deux rois donnèrent à quatre chevaliers huit mille francs de revenue par an ; et comment le roi d’Angleterre donna à messire Jean Chandos la terre de Saint-Sauveur le Vicomte.


Le roi Jean de France, qui avoit grand désir de retourner en son royaume, et c’étoit raison, montroit au roi d’Angleterre, de bon courage, tous les signes d’amour qu’il pouvoit, et aussi à son neveu le prince de Galles, et le roi d’Angleterre autant bien à lui. Et par plus grand’confirmation et conjonction d’amour, les deux rois, qui par l’ordonnance de la paix s’appeloient frères, donnèrent à quatre chevaliers, chacun de son côté, la somme de huit mille francs françois de revenue par an, c’est à entendre à chacun deux mille. Et pour ce que la terre de Saint-Sauveur le Vicomte en Cotentin, qui venoit au roi d’Angleterre du côté monseigneur Godefroy de Harecourt, par don et par vendage que le dit messire Godefroy en avoit fait au dit roi d’Angleterre, si comme il est contenu ci-dessus en ce livre, et que la dite terre étoit hors de l’ordonnance du traité de la paix, et convenoit que quiconque tînt la terre dessus dite, qu’il en fût homme de fief et de hommage au roi de France, pour cette cause le roi d’Angleterre l’avoit donnée et réservée à monseigneur Jean Chandos, qui plusieurs beaux services lui ayoit faits, et à ses enfans. De quoi le dit roi de France, par grand’délibération de courage et d’amour, le confirma et scella[1], à la prière du roi d’Angleterre, au dit messire Jean Chandos à posséder et à tenir ainsi comme son héritage. Si est-ce une moult belle terre et rendable, car elle vaut bien une fois l’an seize mille francs.

Encore avecques toutes ces choses furent plusieurs autres lettres faites et alliances, desquelles je ne puis mie du tout faire mention[2] ; car quinze jours ou environ que les deux rois et leurs enfans et leurs conseillers furent en la ville de Calais, tous les jours y avoit parlement et nouvelles ordonnances, en reconfirmant et alliant la paix ; et d’abondant renouveloient lettres, sans briser ni corrompre les premières, et les faisoient toutes sur une date, pour être mieux sûres et plus approuvées, desquelles j’ai eu depuis les copies par les registres de la cancellerie d’un roi et de l’autre.


CHAPITRE CXLIV.


Comment le roi de France se partit de Calais et s’en vint tout à pied jusques à Boulogne ; et comment le roi Édouard avec les hostagiers de France s’en retourna en Angleterre.


Quand toutes ces choses furent si bien devisées et ordonnées, que nul n’y savoit ni pouvoit par raison rien corriger, et que on ne cuidoit mie, par les grandes alliances et obligations où les deux rois étoient liés et leurs enfans avecques eux, et avoient juré, que cette paix seroit tenue sans briser, mais si fut, si comme vous orrez avant au livre, et que tous ceux qui devoient être hostagiers pour la rédemption du roi de France furent venus à Calais, et que le roi d’Angleterre leur eût juré à les tenir et garder paisiblement en son royaume, et que les six cent mille francs furent payés aux députés le roi d’Angleterre, le dit roi d’Angleterre donna au roi de France au châtel de Calais un moult grand souper et bien ordonné ; et servirent ses enfans et le duc de Lancastre et les plus grands barons d’Angleterre à nus chefs.

Après ce souper, prirent finablement les deux rois congé l’un à l’autre moult amiablement, et retourna le roi de France en son hôtel.

À lendemain, qui fut la veille de Saint-Simon et Saint-Jude[3], se partit le roi de France de Ca-

  1. Les lettres de confirmation du roi Jean et du dauphin, les premières datées de Calais le 24 octobre, les secondes, qui les renferment, datées de Boulogne le 26 du même mois, sont dans Rymer.
  2. La plupart de ces pièces se trouvent dans Rymer : il en a cependant omis une importante, c’est le traité de paix fait à Calais le 24 octobre par la médiation du roi d’Angleterre, entre le roi Jean, d’une part, et le roi de Navarre et son frère Philippe qui stipula pour lui, d’autre part. Ce traité a été publié par M. Secousse.
  3. Froissart se trompe de quelques jours : on lit dans les Chroniques de France que le roi Jean partit de Calais