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LIVRE I. — PARTIE II.

guecin et en Normandie, guerroyer et hérier le royaume de France, et si tanner et fouler les cités et les bonnes villes, que de leur volonté elles s’accorderoient à lui.

Adonc étoit à Paris le duc de Normandie et ses deux frères, et le duc d’Orléans leur oncle, et tout le plus grand conseil de France, qui imaginoient bien le voyage du roi d’Angleterre, et comment il et ses gens fouloient et apovrissoient le royaume de France ; et que ce ne se pouvoit longuement tenir ni souffrir, car les rentes des seigneurs et des églises se perdoient généralement partout. Adoncques étoit chancelier de France un moult sage et vaillant homme messire Guillaume de Montagu[1], évêque de Thérouenne, par qui conseil on ouvroit en partie en France ; et bien le valoit en tous états, car son conseil étoit bon et loyal. Avecques lui y étoient encore deux clercs de grand’prudence, dont l’un étoit abbé de Clugny[2] et l’autre maître des frères prêcheurs, et l’appeloit-on frère Simon de Langres maître en divinité. Ces deux clercs dernièrement nommés, à la prière, requête et ordonnance du duc de Normandie et de ses frères et du duc d’Orléans leur oncle, et de tout le grand conseil entièrement, se partirent de Paris sur certains articles de paix, et messire Hugues de Genève seigneur d’Antun[3] en leur compagnie, et s’en vinrent devers le roi d’Angleterre qui cheminoit en Beauce pardevers Galardon. Si parlèrent ces deux prélats et le chevalier[4] au dit roi d’Angleterre et commencèrent à traiter paix entre lui et ses alliés, et le royaume de France et ses alliés, auxquels traités le duc de Lancastre, le prince de Galles, le comte de la Marche[5] et plusieurs autres barons d’Angleterre furent appelés.

Si ne fut mie cil traité sitôt accompli, quoiqu’il fût entamé ; mais fut moult longuement demené ; et toujours alloit le roi d’Angleterre avant quérant le gras pays. Ces traiteurs, comme bien conseillés, ne vouloient mie le roi laisser ni leur propos anientir, car ils véoient le royaume de France en si povre état et si grévé que en trop grand péril il étoit, si ils attendoient encore un été. D’autre part, le roi d’Angleterre demandoit et requéroit des offres si grandes et si préjudiciables pour tout le royaume que envis s’y accordoient les seigneurs pour leur honneur ; et convenoit par pure nécessité qu’il fût ainsi, ou auques près, s’ils vouloient venir à paix. Si que tous leurs traités et leurs parlemens durèrent sept jours[6], toudis en poursuivant le roi d’Angleterre les dessus nommés prélats et le sire d’Antun, messire Hugues de Genève, qui moult étoit bien ouï et volontiers en la cour du roi d’Angleterre. Si renvoyoient tous les jours, ou de jour à autre, leurs traités et leurs parlemens et procès devers le duc de Normandie et ses frères en la cité de Paris, et sur quel forme ni état ils étoient, pour avoir réponse quelle chose en étoit bonne à faire, et du surplus comment ils se maintiendroient. Ces procès et ces paroles étoient conseillées secrètement, et examinées suffisamment en la chambre du duc de Normandie, et puis étoit rescrit justement et parfaitement l’intention du duc et l’avis de son conseil aux dits traiteurs ; parquoi rien ne se passoit de l’un côté ni de l’autre qu’il ne fût bien spécifié et justement cautelé.

Là étoient en la chambre du roi d’Angleterre sur son logis, ainsi comme il chéoit à point et qu’il se logeoit en la cité de Chartres comme ailleurs, des dessus dits traiteurs françois grands offres mises avant, pour venir à conclusion de guerre et à ordonnance de paix ; auxquelles choses le roi d’Angleterre étoit trop dur à entamer. Car l’intention de lui étoit telle que il vouloit demeurer roi de France, combien qu’il ne le fût mie, et mourir en cel état ; et vouloit

  1. Il se nommait Gilles Acelin de Montagu.
  2. Il s’appelait Audouin de La Roche.
  3. Hugues de Genève possédait la seigneurie d’Anthon du chef de sa femme Isabelle dame d’Anthon.
  4. Ces trois personnages étaient les médiateurs nommés par le pape : les plénipotentiaires du régent étaient Jean de Dormans élu évêque de Beauvais, chancelier de Normandie, Charles de Montmorency, Jean de Melun comte de Tancarville, le maréchal de Boucicaut, Aymart de la Tour sire de Vinay, Simon de Bucy, premier président du parlement, et plusieurs autres tant de l’ordre de la noblesse que du clergé et de la bourgeoisie. Ces plénipotentiaires partirent de Paris le lundi 27 avril, passèrent à Chartres et allèrent jusqu’au près de Bonneval où était le roi d’Angleterre, qui leur fit dire de retourner à Chartres et qu’il se rendrait bientôt dans le voisinage de cette ville.
  5. Le comte de March ne pouvait être un des commissaires, puisqu’il avait été tué un mois avant ce traité, le 26 février, à Rouvray en Bourgogne.
  6. Les négociations recommencèrent le vendredi 1er mai, et le traité de paix fut signé le 8.