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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Si se mirent en embûche bien deux cents armures de fer, toutes gens d’élite, Anglois et Gascons, en une vide maison à trois lieues de Paris. Là étoient le captal de Buch, messire Aymemon de Pommiers et messire de Courton, Gascons ; et Anglois, le sire de Neufville, le sire de Moutbray et messire Richart de Pontchardon : ces six chevaliers étoient souverains de cette embûche. Quand les François qui se tenoient dedans Paris virent le délogement du roi d’Angleterre, si se recueillirent aucuns jeunes seigneurs et bons chevaliers et dirent entr’eux : « C’est bon que nous issions hors secrètement et poursuivons un petit l’ost du roi d’Angleterre, à savoir si nous y pourrions rien gagner. Ils furent tantôt tous d’un accord tels que messire Raoul de Coucy, messire Raoul de Rayneval, le sire de Montsaut, le sire de Helly, le châtelain de Beauvais, le Bègue de Vilaines, le sire de Wasières, le sire de Waurin, messire Gauvain de Bailloel, le sire de Vaudeuil, messire Flamans de Roye, messire le Haze de Chambli, messire Pierre de Sermaise, messire Philippe de Savoisy, et bien cent lances en leur compagnie.

Si issirent hors, tous bien montés et en grand’volonté de faire aucune chose, mais qu’ils trouvassent à qui ; et chevauchèrent tout le chemin du Bourg la Roine, et passèrent outre, et se mistrent aux champs sur le froye des gens le roi d’Angleterre, et passèrent encore outre la dessus dite embûche du captal et de sa route.

Assez tôt après ce que ils furent passés, l’embûche des Anglois et des Gascons issit hors et saillit avant, leurs glaives abaissés, en écriant leur cri. Les François se retournèrent et eurent grand’merveille que c’étoit, et connurent tantôt que c’étoient leurs ennemis. Si s’arrêtèrent tous cois et se mirent en ordonnance de bataille, et abaissèrent les lances contre les Anglais et les Gascons qui tantôt furent venus. Là y eut de première encontre forte joûte, et rués plusieurs par terre d’un lez et de l’autre ; car ils étoient tous fort montés. Après celle joûte ils sachèrent leurs épées et entrèrent l’un dedans l’autre, et se commencèrent à battre et à férir et à donner grands horions ; et là eut faites maintes belles appertises d’armes ; et dura cil débat une grand’espace ; et fût tellement demené que on ne sçut à dire un grand temps : « Les François ni les Anglois en auront le meilleur ; » et par espécial là fut le captal de Buch très bon chevalier, et y fit de sa main maintes grandes appertises d’armes. Finablement les Anglois et Gascons se portèrent si bien de leur côté, que la place leur demeura ; car ils étoient tant et demi que les François. Et là fut du côté des François bon chevalier le sire de Campremy, et se combattit vaillamment dessous sa bannière ; et fut cil qui la portoit occis, et la bannière abattue, qui étoit d’argent à une bande de gueules à six merlettes noires, trois dessus et trois dessous ; et fut le sire de Campremy pris en bon convenant.

Les autres chevaliers et écuyers françois qui virent la mésaventure et qu’ils ne pouvoient recouvrer, se mirent au retour devers Paris tout en combattant, et Anglois et Gascons poursuivirent après de grand’volonté. En celle chasse, qui dura jusques outre le Bourg la Roine, y furent pris neuf chevaliers, que bannerets que autres ; et si les Gascons et les Anglois qui les poursuivoient ne se fussent doutés de l’issue de ceux de Paris, jà nul n’en fût échappé qu’ils ne fussent tous morts ou tous pris. Quand ils eurent fait leur emprise, ils retournèrent devers Montlhéry où le roi d’Angleterre chevauchoit, et emmenèrent leurs prisonniers auxquels ils firent bonne compagnie, et les rançonnèrent courtoisement ce propre soir, et les renvoyèrent arrière à Paris, ou là où il leur plut à aller, et les reçurent courtoisement sur leur foi.


CHAPITRE CXXXI.


Comment le duc de Normandie et son conseil envoyèrent légats pour traiter de la paix entre le roi de France et le roi d’Angleterre ; et comment la paix fut faite.


L’intention de Édouard roi d’Angleterre étoit telle que il entreroit en ce bon pays de Beauce et se trairoit tout bellement sur celle bonne rivière de Loire, et se viendroit, tout cel été jusques après août, refraîchir en Bretagne, et tantôt sur les vendanges qui étoient moult belles apparents, il retourneroit et viendroit de rechef en France mettre le siége devant Paris ; car point ne vouloit retourner en Angleterre, pour ce qu’il en avoit au partir parlé si avant, si auroit eu son intention dudit royaume ; et lairoit ses gens par ces forteresses qui guerre faisoient pour lui en France, en Brie, en Champagne, en Picardie, en Ponthieu, en Vismeu, en Veu-