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LIVRE I. — PARTIE II.

ne nous pouvons tenir ni jour ni heure, car cette maison est toute plate et avironnée de nos ennemis. Et si n’avons homme qui sçut aller quérir aide devers le roi d’Angleterre notre seigneur, qui ne fut en péril de mort. »

Ainsi étoient les compagnons là en débat et eu estrief entr’eux. Là vinrent le seigneur de Roye et les chevaliers, qui leur dirent : « Écoutez, seigneurs, si vous vous faites assaillir tant ou petit, vous serez tous morts sans mercy ; car tantôt vous prendrons de force. » Si que ces paroles et semblables ébahirent les plus hardis ; et se rendirent tous ceux qui dedans étoient, sauves leurs vies. Si furent tous pris prisonniers et envoyés en la terre de Coucy et ens ès garnisons prochaines dont les François étoient partis. Cette avenue avint à monseigneur Jean de Gommignies et à sa route environ Noël, l’an mil trois cent cinquante neuf. De quoi le roi d’Angleterre, quand il le sçut, fut moult courroucé ; mais amender ne le put tant comme à cette fois.

Or retournerons au siége de Reims et parlerons d’une avenue qui avint à monseigneur Berthelemieu de Bruves qui avoit assiégé la tour et le châtel de Courmicy, et un chevalier Champenois dedans qui s’appeloit messire Henry de Vaus ; et se armoit le dit messire Henry, de noir à cinq anneaux d’argent, et crioit : Vienne !


CHAPITRE CXVIII.


Comment messire Berthelemieu de Bruves abattit la tour de Courmicy ; et comment ceux de dedans se rendirent à lui.


Le siége tenant devant Reims, étoient les seigneurs, les comtes, les barons épars en la marche de Reims, si comme vous avez ouï conter ci-dessus, pour mieux être à leur aise, et pour garder les chemins que nulles pourvéances n’entrassent en la dite cité. De quoi cil bon chevalier, messire Berthelemieu de Bruves, et grand baron d’Angleterre, étoit à toute sa route et sa charge de gens d’armes et d’archers logé à Courmicy[1], un moult beau château de l’archevêque de Reims ; lequel archevêque y avoit mis dedans en garnison le chevalier dessus nommé, et plusieurs bons compagnons aussi, pour le garder et défendre contre les Anglois. Ce châtel ne doutoit nul assaut, car il y avoit une tour quarrée malement grosse et épaisse de mur et bien bataillée. Quand messire Berthelemieu, qui le châtel avoit assiégé, l’eut bien avisé, et considéré la forte manière, et que par assaut il ne le pourroit avoir, il fit appareiller une quantité de mineurs qu’il avoit avec lui et à ses gages, et leur commanda qu’ils voulsissent faire leur devoir de la forteresse miner, et trop bien il les paieroit. Ceux répondirent : « Volontiers. » Adonc entrèrent ces ouvriers en leur mine, et minèrent continuellement nuit et jour, et firent tant qu’ils vinrent moult avant pardessous la grosse tour ; et à la mesure qu’ils minoient, ils mettoient étaies ; et ceux du fort rien n’en savoient. Quand ils furent audessus de leur mine, tant que pour faire renverser la tour quand ils voudroient, ils vinrent à messire Berthelemieu et lui dirent : « Sire, nous avons tellement appareillé notre ouvrage que cette grosse tour trébuchera quand il vous plaira. » — « Bien est, répondit le chevalier, n’en faites plus sans mon commandement. » Ceux dirent : « Volontiers. » Adonc monta à cheval messire Berthelemieu et emmena Jean de Ghistelles avec lui, qui étoit de ses compagnons, et s’en vinrent jusques au châtel. Messire Berthelemieu fit signe qu’il vouloit parlementer à ceux de dedans. Tantôt messire Henry se traist avant et vint aux créneaux et demanda qu’il vouloit[2]. « Je vueil ce dit messire Berthelemieu, que vous vous rendez, ou autrement vous êtes tous morts sans remède. » — « Et comment, répondit le chevalier françois, qui se prit à rire ? Nous sommes céans tous haitiés et bien pourvus de toutes choses, et vous voulez que nous nous rendions si simplement : ce ne sera jà. » — « Messire Henry, messire Henry si vous saviez en quel parti vous êtes, ce répondit le chevalier d’Angleterre, vous vous rendriez tantôt et à peu de paroles. » — « En quel parti pouvons-nous être, sire, » répondit le chevalier françois ? « Vous istrez hors, dit messire Berthelemieu, et je le vous montrerai, par condition que si vous voulez retourner en votre tour, je le vous accorderai, et assurances jusques adonc. » Messire Henry entra en ce traité et crut le chevalier anglois, et issit hors de son fort, lui quatrième

  1. Suivant Knyghton, le siége commença le 20 décembre et dura jusqu’au jour de l’Épiphanie que la place fut emportée.
  2. On peut commencer à compter ici une nouvelle année, suivant la date que Knyghton assigne, comme on vient de le voir, à la prise de Cormicy.