Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1359]
423
LIVRE I. — PARTIE II.

le dit châtel de Charny[1], pour tant qu’ils ne le vouloient mie tenir. Si retournèrent en l’ost devant la cité de Reims tout courroucés, car ils avoient perdu la fleur de leurs gens ; et là amenèrent leurs prisonniers. Si recordèrent au roi leur seigneur et aux barons comment ils avoient perdu les plus grands et les plus nobles de leur compagnie. Dont le roi fut amèrement courroucé, mais mettre n’y pouvoit remède ; et tous les jours lui venoient nouvelles de ses gens que les François détroussoient, un jour en un village et l’autre en rencontre.

En ce temps, pendant que on séoit devant Reims, se r’émurent haines et grands mautalens entre le roi de Navarre et le duc de Normandie. La raison et la cause ne sçais-je mie bien : mais il avint adonc que le roi de Navarre se partit soudainement de Paris et s’en vint à Mante sur Saine[2] et défia le duc de Normandie et ses frères : de quoi tout le royaume fut moult émerveillé à quel titre cette guerre étoit renouvelée. Et adonc prit, en l’ombre de sa guerre, un écuyer de Brusselles qui s’appeloit Vautre Ob Strate, le fort châtel de Rolleboise, séant sur la rivière de Saine à une lieue de Mante ; lequel fit depuis moult de maux à ceux de Paris et du pays environ.


CHAPITRE CXVI.


Comment le sire de Roye et le chanoine de Robertsart prirent le sire de Gommignies qui venoit au secours du roi d’Angleterre.


En ce temps que le roi d’Angleterre séoit devant la cité de Rheims, par l’ordonnance que vous avez ouïe, avint que le sire de Gommignies, qui étoit retourné en Angleterre devers madame la roine, quand le roi d’Angleterre eut renvoyé les étrangers à Calais, si comme ci-dessus est contenu, repassa la mer et vint en Hainaut, et en sa compagnie aucuns écuyers de Gascogne et d’Angleterre ; et tiroit à venir tout droit devant Reims. Le jeune sire de Gommignies, qui se désiroit à avancer, lui revenu en Hainaut, fit une assemblée de aucuns compagnons, et se boutèrent plusieurs hommes d’armes en sa route et dessous son pennon. Quand ils furent tous ensemble, ils pouvoient être environ trois cents, que uns que autres. Si se partirent de Maubegue où l’assemblée étoit faite et vinrent à Avesnes en Hainaut et passèrent outre, et puis à Trelou. Or étoit adonc en garnison par le roi, en Thierasche, le sire de Roye et grand’foison de bons compagnons avec lui, chevaliers et écuyers ; et avoit entendu, par ses espies que il avoit toujours sur les frontières de Hainaut, que le sire de Gommignies avoit mis sus une charge de gens d’armes pour amener devant Reims au confort du roi d’Angleterre, et devoit il et ses gens passer parmi la Thierasche. Sitôt que le sire de Roye fut informé de la vérité de cette besogne, il signifia son affaire tout secrètement aux compagnons d’environ lui, et par espécial à monseigneur le chanoine de Robertsart, qui pour le temps gouvernoit la terre du jeune sire de Coucy et se tenoit au châtel de Marle. Quand le chanoine le sçut, il ne fut mie froid de venir celle part, et s’en vint de-lez le seigneur de Roye à bien quarante lances ; et se fit chef le sire de Roye de cette chevauchée. Ce fut bien raison, car c’est un grand baron de Picardie, et étoit pour le temps très bon homme d’armes et bien renommé et connu en plusieurs lieux. Si se mirent ces gens d’armes françois, qui pouvoient bien être trois cents, en embûche sur le chemin par où le sire de Gommignies et sa route devoient passer ; et avoient leurs espies toutes pourvues pour mieux venir à leur fait. Or avint que le sire de Gommignies et sa route, qui nulle chose n’en savoient et qui cuidoient passer

  1. Knyghton dit qu’ils mirent le feu à la ville de Cernay et fixe la prise de cette ville au dernier décembre, en disant que le lendemain fut le jour de la Circoncision. Il raconte ensuite des expéditions particulières de quelques capitaines anglais dans les environs de Reims, pendant le siége de cette ville, dont il n’est point parlé dans nos historiens.
  2. L’auteur des Chroniques de France ne parle point de la retraite précipitée du roi de Navarre ; mais il rapporte un fait qui paraît en être la véritable cause. Le lundi 30 décembre, dit-il, on exécuta à Paris un bourgeois nommé Martin Pisdoe, convaincu d’avoir conspiré, avec quelques officiers et serviteurs du roi de Navarre, contre le roi et le régent. Ils devaient introduire dans Paris des troupes dont une partie s’emparerait des différens quartiers, et l’autre irait au Louvre où devait être le régent, et mettrait à mort tous ceux dont on jugerait à propos de se défaire. La conspiration fut découverte par un autre bourgeois nommé Denisot-le-Paumier. Le récit du chroniqueur est confirmé par plusieurs pièces du trésor des Chartes imprimées dans les Mémoires de Charles-le-Mauvais.