Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
422
[1359]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

De la bonne cité de Reims étoient capitaines, à ce jour que le roi d’Angleterre y mit le siége, messire Jean de Craon, archevêque du dit lieu, monseigneur le comte de Porcien et messire Hugues de Porcien son frère, le sire de la Bove, le sire de Chavency, le sire Dennore, le sire de Lor et plusieurs autres bons chevaliers et écuyers de la marche de Reims. Si s’embesognèrent si bien, ce siége durant, que nul dommage ne s’en prit à la ville ; car la cité est forte et bien fermée et de bonne garde. Et aussi le roi d’Angleterre n’y fit point assaillir, pour ce qu’il ne vouloit mie ses gens travailler ni blesser ; et demeurèrent le roi et ses gens à siége devant Reims sur cel état que vous avez oui, dès la fête Saint-Andrieu jusques à l’entrée de carême[1]. Si chevauchèrent les gens du roi souvent en grauds routes, et couroient pour trouver aventures les aucuns par toute la comté de Retel jusques à Montfaucon[2], jusques à Maisières, jusques à Donchéry et à Mouson ; et logeoient au pays deux jours ou trois, et déroboient tout sans défense ni contredit. Auques en ce temps que le dit roi étoit venu devant Reims, avoit pris messire Eustache d’Aubrecicourt la bonne ville de Athigny sur Aisne, et dedans trouva grand’foison de vivres, et par espécial plus de trois mille tonneaux de vin. Si en départit au roi grandement et à ses enfans, dont il l’en sçut grand gré.


CHAPITRE CXV.


Comment messire Jean Chandos et messire Jacques d’Audelée prirent le châtel de Charny en Dormois ; et comment le sire de Mucident y fut occis à l’assaut.


Ainsi que le siége étoit devant Reims, quéroient les aucuns chevaliers de l’ost les aventures ; dont il avint que messire Jean Chandos, messire James d’Audelée, le sire de Mucident, messire Richard de Pontchardon et leurs routes, chevauchèrent si avant devers Châlons en Champagne que ils vinrent à Charny en Dormois[3], un moult beau fort. Si le regardèrent et considérèrent moult de près quand ils furent là venus : si le convoitèrent durement à assaillir, pour savoir si ils le pourroient prendre. Si descendirent de leurs chevaux et se mirent tous à pied, eux et leurs gens, et approchèrent le châtel et le commencèrent à assaillir roidement et fortement. Par dedans avoit en garnison deux bons chevaliers qui le gardoient, dont l’un avoit nom messire Guy de Caples et portoit un écu d’or à une croix ancrée de sable. Là eut fort assaut et dur, car les chevaliers et leurs gens se défendoient très bien ; et aussi ils étoient assaillis fortement et de grand’volonté. En cel assaut s’avança tellement le sire de Mucident, un moult riche homme et grand sire en Gascogne, que il fut atteint du jet d’une pierre sur son bassinet, par lequel coup ledit bassinet fut effondré et la tête effondrée ; et là fut abattu le dit chevalier et mis à grand meschef, car il mourut entre ses gens, sans porter plus avant. De la mort du seigneur de Mucident furent les autres chevaliers si courroucés, qu’ils jurèrent que jamais ne partiroient de là si auroient conquis le châtel et ceux qui dedans étoient. Adoncques se mirent-ils à assaillir plus fort assez que devant ; et là eut faites maintes grands appertises d’armes ; car les gens d’armes Gascons étoient tous forcennés pour la cause de leur maître qu’on leur avoit tué. Si entroient ès fossés sans eux épargner, et venoient jusques aux murs et rampoient contre mont, les targes sur la tête.

Entrementes archers traioient si omniement et roidement que nul n’osoit approcher, fors en grand péril. Tant fut assailli et guerroyé, que le châtel fut pris ; mais moult leur coûta, car dedans y avoit bons compagnons qui se vendirent au double. Quand les Anglois en furent au dessus ils prirent les deux chevaliers qui moult vaillamment s’étoient défendus, et aussi aucuns gentils hommes écuyers, et le demeurant ils mirent tout à l’épée et malmenèrent durement

  1. Les historiens ne sont pas parfaitement d’accord sur ces dates. Suivant les Chroniques de France, Édouard mit le siége devant Reims dans le mois de novembre et le leva le 11 janvier. Knyghton dit qu’Édouard arriva devant Reims le 18 décembre et y resta sept semaines. Selon Walsingbam, le siége commença le jour de Sainte-Lucie, 13 décembre, et fut levé le 14 janvier, jour de Saint-Hilaire : puis quelques lignes plus bas il dit que le roi d’Angleterre demeura près de Reims jusqu’au cinquième jour après la fête de saint Grégoire pape ; mansitque ibidem Remis usque ad quintum diem post festum sancti Gregorii papæ ; ce qui recule son départ jusqu’au 17 mars, puisque la fête de saint Grégoire était le 12. Or il est certain qu’il était déjà en Bourgogne le 10 de ce mois, date de la trêve qu’il conclut à Guillon avec le duc de Bourgogne.
  2. Bourg peu éloigné de Verdun.
  3. Probablement Cernay en Dormois, petite ville à huit lieues de Reims. C’est ainsi qu’elle est nommée dans Knyghton.