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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Or vous veuil-je nommer les plus grands seigneurs de l’ost du roi d’Angleterre et qui passèrent la mer adonc avec lui, ou en la compagnie le duc de Lancastre, son cousin germain. Premièrement ses quatre fils monseigneur Édouard, monseigneur Leonnel, monseigneur Jean, monseigneur Aymon ; et puis monseigneur Henry duc de Lancastre, monseigneur Jean comte de la Marche, connétable de l’ost d’Angleterre, le comte de Warvich et le comte de Suffolch, maréchaux d’Angleterre, le comte de Herfort et de Norhantonne, le comte de Sallebery, le comte de Stanfort, le comte d’Askesuforch, l’évêque de Lincolle, l’évêque de Durem, le seigneur de Persi, le seigneur de Nuefville, le seigneur Despensier, le seigneur de Ros, le seigneur de Mauny, monseigneur Regnault de Cobehen, le seigneur de Moutbray, le seigneur de la Ware, monseigneur Jean Chandos, monseigneur Richart de Pennebruge, le seigneur de Manne, le seigneur de Villebi, le seigneur de Felleton, le seigneur de Basset, le seigneur de Carlenton, le seigneur de Fit-Vatier, monseigneur James d’Audelée, monseigneur Berthelemieu de Bruves, le seigneur de Salich, monseigneur Étienne de Cousenton, messire Hugues de Hastinges, messire Jean de Lille, messire Noel Louvich et grand’foison d’autres que je ne puis et ne sais mie tous nommer.

Si chevauchèrent ces seigneurs ordonnément, ainsi que dessus est dit, dès qu’ils partirent de Calais, et passèrent tout parmi Artois et au dehors de la cité d’Arras ; et tenoient auques le chemin que le duc de Lancastre avoit tenu quand il passa premièrement. Si ne trouvoient ces gens d’armes que vivre sur le plat pays, car tout étoit bouté dedans les forteresses ; et si étoit de grand temps le pays si appovri et si exillé, que mêmement il faisoit si cher temps au royaume de France et si grand’famine y couroit, pour la cause de ce que on n’avoit de trois ans par avant rien laboure sur le plat pays, que si blés et avoines ne leur vinssent de Hainaut et de Cambrésis, les gens mourussent de faim en Artois, en Vermandois et en l’évêché de Laon et de Reims. Et pour ce que le roi d’Angleterre, ainçois qu’il partit de son pays, avoit ouï parler de la famine et de la povreté de France, étoit-il ainsi venu pourvu, et chacun sire aussi selon son état, excepté de fuerres et d’avoines ; mais de ce se passoient leurs chevaux au mieux qu’ils pouvoient.

Avecques tout ce, le temps étoit si cru et si pluvieux que ce leur faisoit trop de meschef et à leurs chevaux ; car presque tous les jours et toutes les nuits pleuvoit-il à randon sans cesser ; et tant plut en celle empainte que le vin de celle vendange ne valut rien pour celle saison.


CHAPITRE CXII.


Cy dit d’une aventure qui avint à messire Galehaut de Ribeumont encontre messire Berthelemieu de Bruves.


Tant chevaucha le roi d’Angleterre à petites journées et tout son ost, que il approcha durement Bapaumes. Et vous dirai d’une aventure qu’il avint sur ce voyage à monseigneur Galehault de Ribeumont, un très hardi et appert chevalier de Picardie. Vous devez savoir que toutes les villes, les cités et les châteaux sur le passage du roi d’Angleterre étoient trop bien gardés ; car chacune bonne ville de Picardie prenoit et recevoit chevaliers et écuyers à ses frais. Le comte de Saint-Pol se tenoit à deux cents lances dedans la cité d’Arras, le connétable de France à Amiens, le sire de Montsaut à Corbie, messire Oudart de Renty et messire Enguerran d’Eudin à Bapaumes, et messire Bauduins d’Ennekins, maître des arbalétriers, à Saint-Quentin ; et ainsi de ville en ville et de cité en cité, car ils savoient tout notoirement que le roi d’Angleterre venoit assiéger la cité de Reims. Or avint que ceux de Péronne en Vermandois, qui étoient auques sur le passage du roi d’Angleterre, car il et ses gens poursuivoient toujours les rivières, et cette ville dessus nommée siéd sur la rivière de Somme, n’avoient encore point de capitaine ni de gardien ; et si les approchoient les Anglois durement, dont ils n’étoient mie bien aises. Si se avisèrent de messire Galehaut de Ribeumont, qui n’étoit encore nulle part retenu, lequel se tenoit, si comme ils furent informés adonc, à Tournay. Ceux de Péronne envoyèrent devers lui lettres moult courtoises, en lui priant qu’il voulsist venir aider à garder la bonne ville de Péronne atout ce qu’il pourroit avoir de compagnons, et on lui paieroit tous les jours pour sa personne vingt francs, et chacun chevalier dessous lui dix francs, et chacune lance pour trois chevaux un franc le