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LIVRE I. — PARTIE II.

tollit moult de leurs déduits, et les fit garder plus étroitement que devant. Après, quand il fut appareillé, il fit à savoir partout que tous ceux qui étoient appareillés et pourvus pour venir en France avecques lui, se traissent par devers la ville de Douvre, car il leur livreroit nefs et vaisseaux pour passer. Chacun s’appareilla au mieux qu’il put, et ne demeura nul chevalier, ni écuyer, ni homme d’honneur qui fût haitié, de l’âge d’entre vingt ans et soixante, que tous ne partissent : si que presque tous les comtes, barons, chevaliers et écuyers du royaume vinrent à Douvre, excepté ceux que le roi et son conseil avoient ordonnés et établis pour garder ses châteaux, ses baillages et ses mairies, ses offices et ses ports sur mer, ses havelles et ses passages. Quand tous furent assemblés à Douvre, et ses navées appareillées, le roi fit toutes ses gens partir et assembler, petits et grands, en une place au dehors de Douvre, et leur dit pleinement que son intention étoit telle, que il vouloit passer outre mer au royaume de France, sans jamais repasser, jusques à ce qu’il auroit fin de guerre, ou paix à sa suffisance et à son grand honneur, ou il mourroit en la peine ; et s’il y en avoit aucuns entr’eux qui ne fussent de ce attendre confortés et conseillés, il leur prioit qu’ils s’en voulsissent r’aller en leur pays à bon gré. Mais sachez que tous y étoient venus de si grand’volonté que nul ne fût tel qu’il s’envoulsist r’aller. Si entrèrent tous en nefs et en vaisseaux qu’ils trouvèrent appareillés, au nom de Dieu et de Saint-Georges, et arrivèrent à Calais deux jours devant la fête de Toussaints[1], l’an mil trois cent cinquante-neuf.


CHAPITRE CXI.


Comment le roi d’Angleterre se partit de Calais, ses batailles bien ordonnées ; et ci sont contenus les noms des plus grands seigneurs qui avec lui étoient.


Quand le roi d’Angleterre fut arrivé à Calais, et le prince de Galles son fils ains-né et encore trois de ses enfans, messire Leonnel comte d’Ulnestre, messire Jean comte de Richemont, et messire Aymon le plus jeune des quatre, et tous les seigneurs en suivant et toutes leurs routes, ils firent décharger leurs chevaux, leurs harnois et toutes leurs pourvéances, et séjournèrent à Calais pour quatre jours ; puis fit le roi commander que chacun fût appareillé de mouvoir, car il vouloit chevaucher après son cousin le duc de Lancastre. Si se partit le dit roi lendemain au matin de la ville de Calais atout son grand arroy, et se mit sur les champs atout le plus grand charroy et le mieux attelé que nul vit oncques issir d’Angleterre. On disoit qu’il avoit plus de six mille chars bien attelés, qui tous étoient apassés d’Angleterre. Puis ordonna ses batailles si noblement et si richement parés, uns et autres, que c’étoit soulas et déduit au regarder ; et fit son connétable qu’il moult aimoit, le comte de la Marche, premièrement chevaucher atout cinq cents armures et mille archers, au devant de sa bataille. Après, la bataille des maréchaux chevauchoit où il avoit bien trois mille armures de fer et cinq mille archers ; et chevauchoient eux et leurs gens toujours rangés et serrés, après le connétable, et en suivant la bataille du roi. Et puis le grand charroy qui comprenoit bien deux lieues de long ; et y avoit plus de six mille chars tous attelés, qui menoient toutes pourvéances pour l’ost et hôtels, dont on n’avoit point vu user par avant de mener avec gens d’armes, si comme moulins à la main, fours pour cuire et plusieurs autres choses nécessaires. Et après, chevauchoit la forte bataille du prince de Galles et de ses frères, où il avoit bien vingt-cinq cents armures de fer noblement montés et richement parés ; et toutes ces gens d’armes et ces archers rangés et serrés ainsi que pour tantôt combattre, si mestier eût été. En chevauchant ainsi ils ne laissassent mie un garçon derrière eux qu’ils ne l’attendissent ; et ne pouvoient aller bonnement pas plus de trois lieues le jour.

En cet état et en cet arroy furent-ils encontrés du duc de Lancastre et des seigneurs étrangers, si comme ci-dessus est dit, entre Calais et l’abbaye de Likes[2] sur un beau plain. Et encore y avoit en l’ost du roi d’Angleterre jusques à cinq cents varlets, atout pelles et coingnées qui alloient devant le charroy et ouvroient les chemins et les voies, et coupoient les épines et les buissons pour charrier plus aise.

  1. Cette date n’est pas tout-à-fait exacte : Édouard arriva à Calais le 28 octobre.
  2. Licques, ancienne abbaye de Prémontrés dans le diocèse de Boulogne.