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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

tourna oncques forteresse pour paix qui y fut ; car les compagnons avoient appris à piller et à rançonner gens et pays et à chevaucher, tels deux mille y en avoit, à dix ou à vingt chevaux, que si ils fassent chez eux, espoir ils allassent à pied.

Après le département du siége de Melun, l’évêque de Troyes, qui fut un bon guerroyeur et entreprenant durement, retourna en la cité de Troyes, et avec lui messire Brokars de Fenestranges, un appert et hardi chevalier durement, renommé et usé d’armes ; et étoit cil messire Brokars de la nation de Lorraine ; et tenoit dessous lui et à ses gages bien cinq cents compagnons, dont il étoit aidé et servi. Si le prièrent le duc de Normandie, l’évêque de Troyes, le comte de Vaudemont et les seigneurs de Champagne qu’il voulsist demeurer de-lez eux, pour aider à mettre hors ces Anglois qui nuit et jour les guerroyoient. Tant fut prié le dit messire Brokars que il s’accorda à aider et délivrer le pays de Champagne de ces ennemis, parmi une grand’somme de florins qu’il devoit avoir pour lui et pour ses gens. Adoncques s’assemblèrent ces gens d’armes de Troyes, de Champagne et de Bourgogne, l’évèque de Troyes, le comte de Vaudemont, le comte de Joigny, messire Jean de Châlons et messire Brokars qui tenoit la plus grand’route, et bien mille lances et quinze cents brigands. Si se trairent ces gens d’armes par devant le fort châtel de Hans en Champagne que les Anglois tenoient et avoient tenu bien un an et demi. Sitôt que ils y furent venus ils le assaillirent fièrement ; et ceux de dedans se défendirent de grand’volonté. Si ne l’eurent mie ces gens d’armes du premier assaut, ni du second, mais ils l’eurent au troisième, et le conquirent par grands faits d’armes et par bien continuellement assaillir. Si entrèrent dedans les gens messire Brokars ; et y furent morts bien quatre-vingts Anglois, ni nul ne fut pris à merci.

Quand ils eurent ainsi fait, ils se retrairent devers Troyes et se rafraîchirent ; et eurent conseil entre eux que ils se trairoient devers Pons sur Saine et devers Nogent, et ne cesseroient si auroient rué jus messire Eustache d’Aubrecicourt, qui leur faisoit, et au pays de Champagne, tous les destourbiers qu’il pouvoit.


CHAPITRE XCIV.


Comment messire Eustache d’Aubrecicourt issit hors de Pons pour rencontrer les Champenois, et comment il réconforte ses gens.


Adoncques se partirent ces gens d’armes de Troyes, et étoient bien douze cents lances et neuf cents brigands ; et prirent leur chemin pour venir devers Nogent sur Saine. Les nouvelles étoient venues à messire Eustache d’Aubrecicourt, qui se tenoit adoncques à Pons sur Saine, que messire Brokars et l’évêque de Troyes devoient chevaucher : de laquelle avenue il avoit grand’joie, et les désiroit moult à trouver. Si étoit issu de Pons atout ce qu’il avoit de gens d’armes et d’archers ; et avoit mandé tous ceux des garnisons de là entour qui à lui se tenoient, et leur signifia que ils fussent à telle heure qu’il leur assigna sur les champs. Tous y vinrent ceux qui mandés y furent : si se trouvèrent bien quatre cents lances et environ deux cents archers. Quand messire Eustache les vit tous ensemble, si dit : « Nous sommes gens assez pour combattre tout le pays de Champagne ; or chevauchons au nom de Dieu et de Saint George ». Et étoit adonc messire Eustache armé de toutes parures, excepté de son bassinet, et chevauchoit une blanche haquenée moult bien allant, que sa mie par amour lui avoit envoyée, et un coursier aussi que on lui menoit en dextre.

Et n’eurent guères chevauché les Anglois quand ils ouïrent nouvelles des François ; et rapportèrent les coureurs de l’une partie et de l’autre que ils avoient vu les ennemis. Pas ne cuidoient les Anglois que les François fussent si grand’foison que ils étoient ; car si messire Eustache l’eût sçu, il se fût mieux pourvu de gens qu’il ne fit, et eût eu trop volontiers messire Pierre d’Audelée et Albrest, qui l’eussent réconforté de trois ou quatre cents combattans.

Sitôt que messire Eustache sçut quelle part les François étoient, il rassembla toutes ses gens ensemble et se mit en un tertre au dehors de Nogent, au fort d’une vigne, ses archers par devant lui ; et puis vinrent tantôt les François. Quand ils aperçurent les Anglois mis en ordonnance de bataille, ils s’arrêtèrent tout cois et sonnèrent leurs trompettes, et se recueillirent ensemble et ordonnèrent trois batailles, et en chacune avoit quatre cents lances. Si gouvernoit la première l’évêque de Troyes et messire Bro-