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LIVRE I. — PARTIE II.

Lusi[1], Saponay[2], Trochi[3], Arcy sur Aube, Plancy et plusieurs autres forteresses.

Et plus avant sur les marches de Bourgogne et de Perthois se tenoient autres guerroyeurs qui s’appeloient Thibaut de Chaufour et Jean de Chaufour ; et avoient, au titre du roi de Navarre, pris en l’évêché de Langres un très fort châtel malement qui s’appeloit[4] Mont-Saugon. Là dedans avoit quatre cents combattans qui guerroyoient et couroient tout le pays et jusques en l’évêché de Verdun, et rançonnoient tout ; ni rien ne duroit devant eux, ni aussi nul ne leur alloit audevant ; mais étoient les barons, chevaliers et écuyers tous embesognés de garder leurs maisons et leurs forteresses.


CHAPITRE LXXXI.


Comment Robin l’Escot, un des capitaines de Velly, prit le fort châtel de Roussy et le comte et la comtesse et leur fille dedans.


D’autre part, par devers Soissons et entre Laon et Reims se tenoient autres pilleurs et robeurs qui déroboient et rançonnoient tout le pays de là entour. Et parmi la terre du seigneur de Coucy et du comte de Roussy ne couroient-ils nullement ou bien peu ; car ces deux seigneurs les faisoient bien garder par gens d’armes, qu’ils avoient retenus à leurs gages et à leurs frais et mis en leurs châteaux et forteresses. Et étoit la souveraine garnison de ce pays de ces pilleurs, Velly : si l’avoient malement réparée et fortifiée ; et étoient bien dedans six cents combattans ; et en étoit capitaine Radigos de Dury, un écuyer Anglois, appert homme d’armes durement. Cil retenoit toutes manières de gens et de compagnons qui le vouloient servir, et leur donnoit certains gages, et les payoit tellement de terme en terme, que tous le servoient volontiers. Cil avoit avec lui un écuyer qui s’appeloit Robert l’Escot, qui étoit, ainsi que compagnons, à perte et à gain. Cil Robin l’Escot, pour lui faire avancer et renommer, alla par les fêtes de Noël gagner sauvagement par nuit le fort châtel de Roussy ; et prit dedans le propre comte de Roussy, madame sa femme, mademoiselle leur fille, et tous ceux qui y furent trouvés, et aussi toutes les pourvéances du château qui étoient moult grandes ; et fut avec tout ce toute la ville robée. Si fit le dit Robin l’Escot de la ville et du châtel une grande garnison, qui depuis gréva durement le pays de là entour ; et si rançonna le dit comte, madame sa femme et mademoiselle sa fille à la somme de douze mille florins d’or au mouton ; et si détint la ville et le châtel tout l’hiver et l’été après, qui fut l’an cinquante neuf. Et quand le comte de Roussy eut payé sa rançon, il s’en alla tenir à Laon, ou là où il lui plut le mieux. Ainsi étoit le pays foulé et désolé de tous lez : on ne savoit auquel entendre ; et en celui pays de l’évêché de Laon on ne faisoit nuls labours de terres, dont un moult cher temps en naquit depuis.


CHAPITRE LXXXII.


Comment le chanoine de Robertsart secourut le sire de Pinon contre les Navarrois de Roussy qui longuement s’étoient combattus.


En ce temps, si comme je fus informé, avint à monseigneur le chanoine de Robertsart une belle journée sur ces pilleurs, et dont il fut grandement renommé en l’évêché de Laon et de Soissons : je vous dirai comment. Il avint que le sire de Pinon, un chevalier banneret de Vermandois, chevauchoit, avec lui environ soixante armures de fer, pour la doute des rencontres de forteresse à autre. Ce propre jour chevauchoîent ceux de la garnison de Velly et ceux de la garnison de Roussy ; mais point n’y étoient les capitaines, fors que aucuns compagnons qui se vouloient aventurer pour gagner sur le pays ; et pouvoient être trois cents, tous bien montés et appareillés, pour bien faire une besogne : dont il avint d’aventure que, assez près de Craule[5] en Laonnois, ces coureurs anglois et navarrois et gens tous d’une sorte vont aviser sur les champs le seigneur de Pinon qui chevauchoit dessous son pennon assez ordonnément et tenoit les champs par devers Craule. Sitôt que ces compagnons les virent, ils connurent bien qu’ils étoient François ; si se recueillirent et dirent entre eux : « Ceux-ci sont nôtres. » Le sire de Pinon et ses gens les aperçurent de loin naître et venir vers eux et

  1. Lussy, village sur la Marne, un peu au-dessus de Chaumont.
  2. Il y a un village de ce nom dans le Soissonnais.
  3. Torcy : il y a plusieurs lieux de ce nom en Champagne.
  4. Montsaugeon, à une très petite distance de Langres, vers le midi.
  5. Peut-être Craonne ?