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LIVRE I. — PARTIE II.

les châteaux et les forteresses parmi le royaume de France, et prenoient à la fois sur l’ajournement les chevaliers et les dames en leurs lits ; dont ils les rançonnoient, ou ils prenoient tout le leur, et puis les boutoient hors de leurs maisons.

De la ville de Creel sur Oise étoit souverain capitaine un chevalier Navarrois appert durement qui s’appeloit messire Foudrigais. Cil donnoit les sauf-conduits à toutes gens qui vouloient aller de Paris à Noyon, ou de Paris à Compiègne, ou de Compiègne à Soissons ou à Laon, et ainsi sur les marches voisines ; et lui valurent bien les sauf-conduits, le terme qu’il se tint à Creel, cent mille francs.

Au chàtel de Harelle se tenoit messire Jean de Péquigny, un chevalier de Picardie et bon Navarrois ; et contraignoient ses gens durement ceux de Mont-Didier, d’Amiens, d’Arras, de Péronne et tout le pays de Picardie selon la rivière de Somme.

Dedans le chàtel de Mauconseil avoit environ trois cents combattans, des quels Radigos de Dury, Richard Franquelin et François Hannequin, étoient capitaines[1]. Ceux couroient tous les jours sans faute et pilloient tout le pays environ Noyon ; et s’étoient rachetées à ces capitaines toutes les grosses villes non fermées environ Noyon, à payer une quantité de florins toutes les semaines, et autant bien les abbayes ; autrement ils eussent tout ars et détruit ; car ils étoient trop crueux sur leurs ennemis. Par telles manières de gens demeuroient les terres vagues ; car nul ne les osoit labourer ni ouvrer, dont depuis un très cher temps en naquit au royaume de France.


CHAPITRE LXXV.


Comment les Navarrois de Creel et de la Harelle déconfirent les Picards et ceux de Vermandois devant Mauconseil.


Quand le duc de Normandie qui se tenoit à Paris entendit que tels gens d’armes exilloient le pays, au titre du roi de Navarre, et que ils multiplioient trop grossement de jour en jour, si s’avisa qu’il y pourverroit de remède ; car par tels gens se pourroit perdre le royaume de France dont il étoit hoir. Si envoya par toutes les cités et les bonnes villes de Picardie et de Vermandois, en priant que chacune, selon sa quantité, lui voulût envoyer un nombre de gens d’armes à pied et à cheval, pour résister à l’encontre de ces Navarrois, qui ainsi exilloient le pays et le royaume de France dont il avoit le gouvernement, et que ce ne faisoit mie à souffrir.

Les cités et les bonnes villes le firent moult volontiers, et se taillèrent chacun selon son aisément, de gens d’armes à pied et à cheval, d’archers et d’arbalétriers ; et se trairent premièrement par devers la bonne cité de Noyon, et droit devant la garnison que on dit de Mauconseil, pour ce que il leur sembloit que c’étoit le plus léger des forts à prendre que les Navarrois tenoient, et qui plus grevoit et contraignoit ceux de Noyon et le bon pays de Vermandois. Si furent capitaines de toutes ces gens d’armes et communes l’évêque de Noyon, messire Raoul de Coucy, le sire de Raineval, le sire de Cauny, le sire de Roye, messire Mathieu de Roye son cousin et messire Baudouin d’Ennequin maître des arbalétriers ; et avoient ces seigneurs avecques eux plusieurs chevaliers et écuyers de Vermandois, de Picardie et de là environ. Si assiégèrent de grand’volonté Mauconseil, et y livrèrent plusieurs assauts, et contraignirent durement ceux qui le gardoient.

Quand les compagnons qui dedans étoient se virent ainsi pressés de ces seigneurs de France qui durement les menaçoient, et ils eurent bien considéré entr’eux que longuement ne se pouvoient tenir qu’ils fussent pris et déconfits, si escripsirent leur povreté et signifièrent à messire Jean de Péquigny, qui pour le temps se tenoit en la Harelle et à qui toutes ces forteresses obéissoient, en priant qu’ils fussent reconfortés et secourus hâtivement, ou il les convenoit rendre à meschef. Quand messire Jean de Péquigny entendit ces nouvelles, si ne les mit mie en oubli, mais se hâta durement de conforter ses bons amis de Mauconseil ; et manda secrètement à ceux de la garnison de Creel et à toutes autres de là environ, qu’ils fussent appareillés et sur les champs en un certain lieu que il leur assigna ; car il vouloit chevaucher. Toutes manières de gens d’armes et de compagnons obéirent de grand’volonté à lui, et se trairent là où ils devoient aller. Quand ils furent tous ensemble,

  1. Barnès dit qu’il y avait à Mauconseil trois cents hommes d’armes sous Radigois de Derry, Irlandais, Franklin et Hawkins, Anglais, et sir Robert Knowles.