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LIVRE I. — PARTIE II.

pira Dieu et éveilla aucuns des bourgeois de Paris qui étoient de l’accord, et avoient toujours été, du duc de Normandie ; desquels messire Pépin des Essarts et messire Jean de Charny se faisoient chefs : et furent iceux par inspiration divine, ainsi le doit-on supposer, informés que Paris devoit être courue et détruite. Tantôt ils s’armèrent et firent armer tous ceux de leur côté, et révélèrent secrètement ces nouvelles en plusieurs lieux, pour avoir plus de confortans.

Or s’en vint le dit messire Pépin et plusieurs autres, bien pourvus d’armures et de bons compagnons, et prit le dit messire Pépin la bannière de France, en criant : « Au roi et au duc ! » et les suivoit le peuple ; et vinrent à la porte Saint-Antoine, où ils trouvèrent le prévôt des marchands qui tenoit les clefs de la porte en ses mains[1]. Là étoit Jean Maillart, qui pour ce jour avoit eu débat au prévôt des marchands, et à Josseran de Mascon[2], et s’étoit mis avecques ceux de la partie du duc de Normandie. Et illecques fut le dit prévôt des marchands fortement argué, assailli et débouté ; et y avoit si grand’noise et criée du peuple qui là étoit, que l’on ne pouvoit rien entendre ; et disoient : « À mort ! à mort ! tuez, tuez le prévôt des marchands et ses alliés, car ils sont traîtres. »

Là eut entr’eux grand’hutin ; et le prévôt des marchands, qui étoit sur les degrés de la bastide Saint-Antoine, s’en fût volontiers fui, s’il eût pu : mais il fut si hâté que il ne put ; car messire Jean de Charny le férit d’une hache en la tête et l’abattit à terre ; et puis fut féru de maître Pierre de Fouace et autres qui ne le laissèrent jusques à tant que il fut occis, et six de ceux qui étoient de sa secte, entre lesquels étoient Philippe Guiffart, Jean de Lille, Jean Poiret, Simon le Paonnier[3], et Gille Marcel[4] ; et plusieurs autres traîtres furent pris et envoyés en prison. Et puis commencèrent à courir et à chercher parmi les rues de Paris, et mirent la ville en bonne ordonnance, et firent grand guet toute nuit[5].

    seulement le régent, mais le roi qui était prisonnier en Angleterre. Villani dit pareillement que le roi de Navarre devait mettre sur sa tête la couronne de France et en faire hommage au roi d’Angleterre auquel il restituerait le comté d’Anghien (vraisemblablement de Guines) et d’autres domaines ; à quoi il ajoute que le roi d’Angleterre devait aider le roi de Navarre à se mettre en possession du royaume, et aussitôt après l’exécution de ces projets faire couper la tête au roi Jean son prisonnier. Cette dernière circonstance n’est nullement vraisemblable ; Édouard était trop généreux pour commettre une pareille atrocité, quel qu’en dût être le fruit. Il n’en est pas de même des autres conventions faites avec le roi de Navarre : elles n’ont rien d’opposé au caractère connu des deux princes. M. Secousse croit même avoir trouvé le traité qu’ils conclurent alors, dans Rymer. Il est daté du 1er août 1351. M. Secousse prétend que la date a été mal lue et que ce traité ne peut se lier avec les événemens de cette année, pendant laquelle le roi de Navarre était dans les bonnes grâces du roi Jean, qui lui avait fait épouser sa fille et l’avait établi son lieutenant général en Languedoc. Il conclut de ce raisonnement et de plusieurs autres qui n’ont pas moins de probabilité, qu’on doit rapporter cet accord au 1er août 1358, lendemain de la mort de Marcel. Mais s’il fut fait dans cette circonstance, Villani s’est trompé sur la principale clause ; car il y est dit qu’à l’exception du comté de Champagne et de Brie et des autres pays cédés au roi de Navarre, le roi d’Angleterre aurait la couronne et le royaume de France.

  1. Suivant l’auteur des Chroniques de France, il portait une boîte dans laquelle étaient renfermées les lettres du roi de Navarre qu’il refusa de montrer au peuple ; et ce refus fut la cause de sa mort. Suivant les Chroniques manuscrites conservées à la Bibliothèque du Roi, cotées l’une 9,618, l’autre 9,656, ces lettres étoient non du roi de Navarre, mais du régent.
  2. Voici en peu de mots ce que les Chroniques de France disent de cette contestation : le mardi, dernier juillet, Marcel, ayant dîné à la bastille Saint-Denis, ordonna aux gardes d’en remettre les clefs à Josseran de Mascon, trésorier du roi de Navarre. Ils refusèrent d’obéir, ce qui donna lieu à une dispute assez vive. Jean Maillard, garde de l’un des quartiers de la ville, de la partie de ladite bastille, informé de ce qui se passait, accourut, prit le parti des gardes, puis montant à cheval, une bannière du roi de France à la main, se mit à crier : Montjoie Saint-Denis au roi ! et au duc ! et arriva aux halles où il demeura pendant le reste de l’action.
  3. Il est nommé Simon de Paumier dans les Chroniques de France.
  4. Suivant les mêmes chroniques, Gilles Marcel et Jean de Lille furent tués dans l’hôtel des Hérauts, près de la porte Baudoyer ; et Jean Poiret fut tué à la bastille Saint-Martin.
  5. Un grand nombre de manuscrits et tous les imprimés rapportent ces faits d’une manière si différente que nous devons les citer ici : les imprimés abrègent toutefois le récit.

    « Celle propre nuit que ce devoit advenir, inspira Dieu aucuns des bourgeois de Paris qui toujours avoient été de l’accord du duc, desquels Jean Maillart et Simon Maillart son frère se faisoient chefs ; et furent ceux, par inspiration divine, ainsi le doit-on supposer, informés que Paris devoit être courue et détruite. Tantôt ils s’armèrent et firent armer tous ceux de leur côté, et révélèrent secrètement ces nouvelles en plusieurs lieux pour avoir plus de confortants. Et s’en vinrent Jean et Simon Maillart,