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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

ils l’eussent sçu, ils y fussent rentrés aussi. Quand ce vint sur le vespre, ils se mirent au retour, sans ordonnance ni arroy, comme ceux qui ne cuidoient avoir point de rencontre ni d’empêchement ; et s’en revenoient par troupeaux, ainsi que tous lassés et hodés et ennuiés. Et portoit l’un son bassinet en sa main, l’autre à son col, les autres, par lascheté et ennui, traînoient leurs épées, ou les portoient en écharpe ; et tout ainsi se maintenoient-ils ; et avoient pris le chemin pour entrer à Paris par la porte Saint-Honoré. Si trouvèrent de rencontre ces Anglois au fond d’un chemin, qui étoient bien quatre cents tous d’une sorte et d’un accord, qui tantôt écrièrent ces François et se férirent entr’eux de grand’volonté, et les reboutèrent trop durement et diversement ; et en y eut de première venue abattus plus de deux cents.

Ces François qui furent soudainement pris et qui nulle garde ne s’en donnoient, furent tout ébahis et ne tinrent point de conroy, ains se mirent en fuite et se laissèrent occire, tuer et découper, ainsi que bêtes ; et rafuioient qui mieux pouvoient devers Paris ; et en y eut de morts en celle chasse plus de sept cents ; et furent tous chassés jusques dedans les barrières de Paris. De cette avenue fut trop durement blâmé le prévôt des marchands de la communauté de Paris ; et disoient que il les avoit trahis.

Encore à lendemain au matin, avint que les prochains et les amis de ceux qui morts étoient issirent de Paris pour eux aller querre à chars et à charrettes et les corps ensevelir. Mais les Anglois avoient mis une embûche sur les champs : si en tuèrent et mes-haignèrent de rechef plus de six vingt. En tel trouble et en tel meschef étoient échus ceux de Paris, et ne se savoient de qui garder. Si vous dis qu’ils murmuroient et étoient nuit et jour en grands soupçons ; car le roi de Navarre se refroidoit d’eux aider, pour la cause de la paix jurée à son serourge le duc de Normandie, et pour l’outrage aussi qu’ils avoient fait des soudoyers anglois qu’il avoit envoyés à Paris. Si consentoit bien que ceux de Paris en fussent châtiés, afin que ils amendassent plus grandement ce forfait.

D’autre part aussi le duc de Normandie le souffroit assez, pour la cause de ce que le prévôt des marchands avoit encore le gouvernement d’eux ; et leur mandoit et escripsoit bien généralement que nulle paix ne leur tiendroit jusques à tant que douze hommes de Paris, lesquels qu’il voudroit élire, il auroit à sa volonté. Si devez savoir que le dit prévôt des marchands et ceux qui se sentoient forfaits n’étoient mie à leur aise. Si véoient-ils bien et considéroient, tout imaginé, que cette chose ne pouvoit longuement durer en cel état ; car ceux de Paris commençoient jà à refroidir de l’amour qu’ils avoient eu en lui et à ceux de sa sorte et alliance ; et le déparloient vilainement, si comme il étoit informé.


CHAPITRE LXXIII.


Comment le prévôt des marchands et ses alliés avoient proposé de courir et détruire Paris ; et comment le dit prévôt fut mis mort ; et comment le duc de Normandie vint à Paris.


Le prévôt des marchands de Paris et ceux de son alliance et accord avoient souvent entr’eux plusieurs secrets conseils pour savoir comment ils se pourroient maintenir ; car ils ne pouvoient trouver par nul moyen mercy ni remède au duc de Normandie ; dont ce les ébahissoit plus que autre chose. Si regardèrent finablement que mieux valoit qu’ils demeurassent en vie et en bonne prospérité du leur et de leurs amis que ce qu’ils fussent détruits ; car mieux leur valoit à occire que être occis. Si s’arrêtèrent du tout sur cel état, et traitèrent secrètement devers ces Anglois qui guerroyoient ceux de Paris ; et se porta certain traité et accord entre les parties, que le prévôt des marchands et ceux de sa secte devoient être tous prêts et ordonnés entre la porte Saint-Honoré et la porte Saint-Antoine, tellement que, à heure de minuit, Anglois et Navarrois devoient tous d’une sorte y venir, si pourvus que pour courir et détruire Paris, et les devoient trouver toutes ouvertes ; et ne devoient les dits coureurs déporter homme ni femme, de quelque état qu’ils fussent, mais tout mettre à l’épée, excepté aucuns que les ennemis devoient connoître par les signes qui seroient mis à leurs huis et fenêtres.

Celle[1] propre nuit que ce devoit avenir, ins-

  1. Le continuateur de Nangis, qui parle de ce traité, p. 620, comme ayant été conclu directement avec le roi de Navarre, ajoute que ce prince, une fois maître de la ville devait s’emparer de la couronne, du moins à ce que l'on croyait, ut opinabatur, et en faire exclure non-