Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1358]
381
LIVRE I. — PARTIE II.

tous émus étoient d’eux occire, que il les corrigeroit et puniroit selon leur forfait. Parmi tant se rapaisèrent ceux de Paris. Quand ce vint à la nuit, le prévôt des marchands, qui voulut complaire à ces Anglois soudoyers, leur élargit leurs prisons et les fit délivrer et aller leur voie[1] ; si s’en vinrent à Saint-Denis devers le roi de Navarre, qui tous les retint.

Quand ce vint au matin que ceux de Paris sçurent l’affaire et la délivrance de ces Anglois, et comment le prévôt s’en étoit acquitté, si en furent durement courroucés sur lui, ni oncques depuis ils ne l’aimèrent tant comme ils faisoient auparavant. Le prévôt, qui étoit un sage homme, s’en sçut bien adonc ôter et dissimuler tant que cette chose s’oublia.

Or vous dirai de ces soudoyers Anglois et Navarrois comment ils persévérèrent. Quand ils furent venus à Saint-Denis et remis ensemble, ils se trouvèrent plus de trois cents : si se avisèrent qu’ils contrevengeroient leurs compagnons et les dépits qu’on leur avoit faits. Si envoyèrent tantôt défier ceux de Paris et commencèrent à courir aigrement et faire guerre à ceux de Paris et à occire et découper toutes gens de Paris qui hors issoient : ni nul n’osoit vider des portes, tant les tenoient les Anglois en grand doute : de quoi le prévôt des marchands en étoit demandé et en derrière encoulpé.


CHAPITRE LXXII.


Comment les compagnons des soudoyers anglois qui furent tués à Paris occirent grand’foison de ceux de Paris à la porte Saint-Honoré.


Quand ceux de Paris se virent ainsi hériés et guerroyés de ces Anglois, si furent tous forcennés ; et requirent au prévôt des marchands qu’il voulsist faire armer une partie de leur communauté et mettre hors aux champs, car ils les vouloient aller combattre. Le dit prévôt leur accorda et dit qu’il iroit avec eux ; et fit un jour armer une partie de ceux de Paris, et un jour partir jusques à vingt-deux cents[2]. Quand ils furent aux champs, ils entendirent que ceux qui les guerrioient se tenoient devers Saint-Cloud. Si se avisèrent qu’ils se partiroient en deux parties et prendroient deux chemins, afin qu’ils ne leur pussent échapper. Si s’ordonnèrent ainsi ; et se devoient retrouver et rencontrer en un certain lieu assez près de Saint-Cloud. Si se dessevrèrent les uns des autres, et se mirent en deux parties ; et en prit le prévôt des marchands la moindre partie. Si tournoyèrent ces deux parties tout le jour environ Montmartre ; et rien ne trouvèrent de ce qu’ils demandoient.

Or avint que le prévôt des marchands qui étoit ennuié d’être sur les champs, et qui nulle rien n’avoit fait, entour remontée, rentra à Paris par la porte Saint-Martin. L’autre bataille se tint plus longuement sur les champs, et rien ne savoit du retour du prévôt des marchands ni de sa bataille que ils fussent rentrés à Paris ; car si

  1. Ils ne furent délivrés que le vendredi suivant 27 juillet, selon les Chroniques de France ; elles ajoutent que Marcel les conduisit hors de Paris par la porte Saint-Honoré, escortés d’archers qui portaient leurs arcs tendus, et d’environ deux cents hommes d’armes dont quelques-uns insultaient le peuple par des propos arrogans.
  2. Le récit des Chroniques de France diffère tellement de celui de Froissart dans la plupart des circonstances de cet événement, qu’on ne peut se dispenser de le rapporter ici sommairement.

    Le dimanche 22 juillet, jour de la Magdeleine, les Parisiens ayant obligé le roi de Navarre et le prévôt des marchands à marcher avec eux contre les Anglais qui étaient à Saint-Cloud et à Saint-Denis, sortirent au nombre de seize cents hommes à cheval et huit mille à pied, une partie par la porte Saint-Honoré, l’autre, ayant à sa tête le roi de Navarre et Marcel, par la porte Saint-Denis. Cette dernière troupe étant arrivée près de Montmartre où elle s’arrêta assez long-temps, trois hommes d’armes furent envoyés (sans doute par le roi de Navarre et Marcel) donner avis aux Anglais de l’approche des Parisiens. Les Anglais étaient embusqués dans le bois de Boulogne, nommé le bois de Saint-Cloud par le chroniqueur, et avaient posté quarante ou cinquante hommes seulement en dehors du bois du côté de Paris. Les Parisiens s’avancèrent avec confiance, croyant n’avoir affaire qu’à cette petite troupe ; mais voyant les Anglais sortir du bois, ils prirent la fuite et perdirent dans leur retraite plus de six cents hommes, presque tous gens de pied, et surtout de ceux qui étaient sortis par la porte Saint-Honoré. Le roi de Navarre, après être demeuré tranquille spectateur de leur défaite, retourna à Saint-Denis, et Marcel rentra dans Paris au milieu des huées du peuple.

    Ce récit paraît préférable à celui de Froissart, parce que le chroniqueur était plus à portée que lui d’être instruit de ce qui se passait dans la capitale et aux environs, et que d’ailleurs on remarque beaucoup d’omissions et d’inexactitudes dans tout le morceau de Froissart qui s’étend depuis l’emprisonnement du roi Jean jusqu’à cette époque. Si quelquefois, pour ne pas trop multiplier les notes, j’ai négligé de relever les différences qui se trouvent entre son récit et celui des autres historiens contemporains, c’est ou parce qu’elles m’ont paru peu importantes ou parce que ce travail a été fait dans le t. Ier des Mémoires de Charles-le-Mauvais, par Secousse.