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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

nées et confirmées, et sur la fiance de celle paix, le roi de Navarre se partit du duc de Normandie aimablement et retourna à Saint-Denis ; et le duc s’en vint en la cité de Meaux en Brie, où madame sa femme étoit, fille au duc de Bourbon, et donna congé à aucuns de ces gens d’armes. Et fût adoncques prié d’aucuns bourgeois de Paris qui ces traités avoient aidé à entamer, et de l’archevèque de Sens qui grand’peine y mettoit, et de l’évêque d’Aucerre, que il vint à Paris sûrement et que on lui feroit toute la fête et honneur que on pourroit. Le duc répondit que il tenoit bien la paix à bonne, qu’il avoit jurée, ni jà par lui, si Dieu plaisoit, ne seroit enfreinte ni brisée, mais jamais à Paris n’entreroit, si auroit eu pleine satisfaction de ceux qui courroucé l’avoient. Ainsi demeura la chose en tel état un temps que point ne vint le duc de Normandie à Paris.


CHAPITRE LXXI.


Comment le roi de Navarre promit au prévôt des marchands qu’il lui aideroit de tout son pouvoir ; et comment ceux de Paris tuèrent les soudoyers anglois qui à Paris étoient.


Le prévôt des marchands et ceux de sa secte, qui se sentoient en la haine et indignation du duc de Normandie leur seigneur, et qui les menaçoit de mourir, n’étoient point à leur aise ; et visitoient souvent le roi de Navarre qui se tenoit à Saint-Denis, et lui remontroient bellement et doucement le péril où ils gisoient, dont il étoit cause ; car ils l’avoient de prison délivré et à Paris amené ; et l’eussent volontiers fait leur roi et leur gouverneur si ils pussent ; et avoient voirement consenti la mort des trois dessus dits, qui furent occis au Palais à Paris, pourtant qu’ils lui étoient contraires ; et que pour Dieu il ne les voulut mie faillir et ne voulut mie avoir trop grand’fiance au duc de Normandie ni en son conseil. Le roi de Navarre, qui sentoit bien que le prévôt des marchands et ceux de son alliance ne reposoient mie à leur aise, et que du temps passé ils lui avoient fait trop grand’courtoisie, ôté de danger et délivré de prison, les reconfortoit ce qu’il pouvoit, et leur disoit : « Chers seigneurs et amis, vous n’aurez jà nul mal sans moi ; et quand vous avez maintenant le gouvernement de Paris et que nul ne vous y ose courroucer, je vous conseille que vous faites votre attrait, et vous pourvéez d’or et d’argent tellement que, s’il vous besogne, vous le puissiez retrouver ; et l’envoyez hardiment ci à Saint-Denis sur la fiance de moi ; et je le vous garderai et en retiendrai toujours gens d’armes secrètement et compagnons, dont au besoin vous guerroyerez vos ennemis. » Ainsi fit depuis le prévôt des marchands : toutes les semaines il envoyoit deux fois deux sommiers chargés de florins à Saint-Denis, devers le roi de Navarre qui les recevoit liement. Or advint que il étoit demeuré à Paris grand’foison de soudoyers Anglois et Navarrois, ainsi que vous savez, que le prévôt des marchands et la communauté de Paris avoient retenus à Paris à soudées et à gages, pour eux aider à défendre et garder contre le duc de Normandie. Et trop bien et trop loyaument s’y étoient portés, la guerre durant ; si que, quand l’accord fut fait d’eux et du dit duc, les aucuns partirent et les autres non. Ceux qui partirent, s’en vinrent devers le roi de Navarre qui tous les retint ; et encore en demeura-t-il à Paris plus de trois cents qui là s’ébattoient et rafraîchissoient, ainsi que compagnons soudoyers font volontiers en tels villes et dépendent leur argent liement. Si s’émut un débat entre eux et ceux de Paris[1], et en y eut bien de morts, sur les rues que en leurs hôtels, plus de soixante[2] : de quoi le prévôt des marchands fut durement courroucé, et en blâma et vilena ceux de Paris moult yreusement. Et toutes fois pour apaiser la communauté, il en prit plus de cent et cinquante[3] et les fit mettre en prison au Louvre, et dit à ceux de Paris, qui

    la merci du régent, par telle condition qu’il en ordonneroit par le conseil de la roine Jehanne, du roi de Navarre, du duc d’Orléans, concordablement et non autrement, mis et adjoint avecques eux le comte d’Estampes.

  1. Les pillages que les autres Anglais cantonnés à Saint-Denis et à Saint-Cloud exerçaient sur le pays donnèrent lieu à ce tumulte qui arriva le samedi 21 juillet, veille de la Magdeleine, dans l’après-midi, selon l’auteur des Chroniques de France. Knyghton recule cet événement au mois de janvier 1358–1359 ; on trouve dans son récit presque autant d’erreurs que de mots : elles ont été relevées par M. Secousse.
  2. Les Chroniques de France disent qu’il n’y en eut qu’environ vingt-quatre de tués.
  3. Suivant les mêmes Chroniques, Marcel n’eut aucune part à l’emprisonnement des Anglais ; ce furent les bourgeois seuls qui en arrêtèrent plus de quatre cents qu’ils mirent en prison au Louvre.