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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

de Valois aussi, et s’envinrent devers Meaux. D’autre part, ceux de Paris, qui bien savoient cette assemblée, se partirent un jour de Paris, par flottes et par troupeaux[1], et s’envinrent avecques les autres. Et furent bien neuf mille tous ensemble, en très grand’volonté de mal faire. Et toujours leur croissoient gens de divers lieux et de plusieurs chemins qui se raccordoient à Meaux. Et s’en vinrent jusques aux portes de la dite ville. Et ces méchans gens de la ville ne voulurent contredire l’entrée à ceux de Paris, mais ouvrirent leurs portes. Si entrèrent au bourg si grand’plenté que toutes les rues en étoient couvertes jusques au marché. Or regardez la grand’grâce que Dieu fit aux dames et aux damoiselles ; car, pour voir, elles eussent été violées, efforcées et perdues, comme grandes qu’elles fussent, si ce n’eût été les gentilshommes qui là étoient, et par espécial le comte de Foix et le captal de Buch ; car ces deux chevaliers donnèrent l’avis pour ces vilains déconfire et détruire.


CHAPITRE LXVIII.


Comment le comte de Foix, le captal de Buch et le duc d’Orléans déconfirent les Jacques, et puis mirent le feu en la ville de Meaux.


Quand ces nobles dames, qui étoient herbergées au marché de Meaux, qui est assez fort, mais qu’il soit gardé et défendu, car la rivière de Marne l’avironne, virent si grand’quantité de gens accourir et venir sur elles, si furent moult ébahies et effrayées ; mais le comte de Foix et le captal de Buch et leurs routes, qui jà étoient tous armés, se rangèrent sur le marché, et vinrent à la porte du marché et firent ouvrir tout arrière ; et puis se mirent au devant de ces vilains, noirs et petits et très mal armés, et la bannière du comte de Foix et celle du duc d’Orléans et le pennon du captal, et les glaives et les épées en leurs mains, et bien appareillés d’eux défendre et de garder le marché. Quand ces méchans gens les virent ainsi ordonnés, combien qu’ils n’étoient mie grand’foison encontre eux, si ne furent mie si forcenés que devant ; mais se commencèrent les premiers à reculer et les gentilshommes à eux poursuivir et à lancer sur eux de leurs lances et de leurs épées et eux abattre. Adonc ceux qui étoient devant et qui sentoient les horions, ou qui les redoutoient à avoir, reculoient de hideur tant à une fois qu’ils chéoient l’un sur l’autre. Adonc issirent toutes manières de gens d’armes hors des barrières et gagnèrent tantôt la place, et se boutèrent entre ces méchans gens. Si les abattoient à grands monceaux et tuoient ainsi que bêtes ; et les reboutèrent tous hors de la ville, que oncques en nul d’eux n’y eut ordonnance ni conroy ; et en tuèrent tant qu’ils en étoient tous lassés et tannés ; et les faisoient saillir en la rivière de Marne. Finablement ils en tuèrent ce jour[2] et mirent à fin plus de sept mille : ni jà n’en fût nul échappé, si ils les eussent voulu chasser plus avant. Et quand les gentilshommes retournèrent, ils boutèrent le feu en la désordonnée ville de Meaux et l’ardirent toute et tous les vilains du bourg qu’ils purent dedans enclorre. Depuis cette déconfiture qui fut faite à Meaux, ne se rassemblèrent-ils nulle part ; car le jeune sire de Coucy, qui s’appeloit messire Enguerrand, avoit grand’foison de gentilshommes avec lui, qui les mettoient à fin partout où ils les trouvoient, sans pitié et sans merci.


CHAPITRE LXIX.


Comment le duc de Normandie assiégea Paris par devers Saint-Antoine ; et comment le roi de Navarre se partit de Paris et s’en alla à Saint-Denis.


Assez tôt après celle avenue[3], le duc de Normandie assembla tous les nobles et gentilshommes qu’il put avoir, tant du royaume que de l’Empire, parmi leurs soudées payant ; et étoient bien sept mille lances[4]. Et s’en vint assiéger Paris par devers Saint-Antoine contre val la rivière de Seine. Et étoit logé à Saint-Mor, et ses gens là environ, qui couroient tous les jours jusques à Paris. Et se tenoit le dit duc une fois au pont de Charenton et l’autre à Saint-Mor ; et ne venoit rien ni entroit à Paris de ce côté, ni par terre ni par eau, car le duc avoit pris les

  1. L’auteur des Chroniques de France dit qu’ils étaient environ trois cents, ayant pour capitaine un épicier nommé Pierre Gille, et qu’il s’en joignit à eux environ cinq cents commandés par Jean Vaillant, prévôt des monnaies du roi, qui s’étaient assemblés à Tilli.
  2. Les Chroniques de France fixent la date de cet événement au samedi 9 juin.
  3. Le 30 juin, suivant les Chroniques de France.
  4. L’auteur des Chroniques de France dit qu’on estimait l’armée du régent à trente mille hommes d’armes, et plus.