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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Bolleton son marchand atout les perdrix ; et voulsist ou non, il l’emmena, moult durement blessé, parmi les fossés dedans la cité, et le présenta aux dames atout les dites perdrix, qui le reçurent moult liement et l’honorèrent moult grandement. Ne demeura mie grandement après que le dit Olivier, qui se sentoit blessé durement et ne pouvoit finer d’aucunes herbes qu’il connoissoit bien pour lui guérir, si appela son prisonnier moult courtoisement et lui dit : « Monseigneur Jean, je me sens blessé durement ; si connois là dehors aucunes herbes par lesquelles, à l’aide de Dieu, je pourrois légèrement recouvrer santé et guérir de mes plaies ; si vous dirai que vous ferez : vous partirez de cy et irez par devers le duc de Lancastre votre seigneur et m’apporterez un sauf-conduit pour moi quatrième durant un mois, tant que je sois guéri ; et si vous le me pouvez impétrer, je vous quitterai de votre prison ; et au cas que ainsi ne le ferez, vous retournerez céans mon prisonnier comme devant. »

De ces nouvelles fut le dessus dit monseigneur Jean de Bolleton moult joyeux, et partit de léans, et vint en l’ost où il fut reçu à grand’joie de tous et mêmement du duc de Lancastre qui assez le rigola des perdrix. Et puis fit sa requête, au duc lequel le lui accorda moult bonnement, et tantôt commanda que le sauf-conduit fût écrit et scellé. Ainsi fut fait. Tantôt le dit monseigneur Jean partit du duc atout le sauf-conduit et revint en la cité et le bailla à son maître Olivier de Mauny qui lui dit qu’il avoit moult bien exploité et tantôt le quitta de sa prison. Et partirent ensemble de la bonne cité de Rennes et vinrent en l’ost du duc de Lancastre, lequel les vit moult volontiers, et fit grand’chère et montra grand signe d’amour au dit Olivier. Et dit bien le dit duc que en lui avoit noble cœur et montroit bien qu’il seroit encore moult vaillant homme et de grand’prouesse, quand pour avoir son sauf-conduit et un peu d’herbes il avoit quitté un tel prisonnier qui pouvoit payer dix mille moutons d’or.

Après ces choses ainsi faites, le duc de Lancastre ordonna une chambre pour Olivier de Mauny et commanda qu’elle fût tendue et parée moult richement et que on lui baillât et délivrât tout ce qui besoin lui seroit. Ainsi que le duc commanda, ainsi fut fait. Là fut le dit Olivier logé en l’ost du duc et lui bailla-t-on les cerurgiens et médicins du duc, qui le visitoient tous les jours ; et aussi le duc l’alloit voir et conforter moult souvent. Et tant fut illecques qu’il fut guéri de ses plaies ; et tantôt prit-il congé au duc de Lancastre et le remercia moult grandement de la très grand honneur qu’il lui avoit faite ; et aussi prit-il congé aux autres seigneurs et à son prisonnier qui avoit été monseigneur Jean Bolleton. Mais au départir le duc de Lancastre lui donna moult belle vaisselle et lui dit : « Mauny, je vous prie que vous me recommandez aux dames et damoiselles, et leur dites que nous leur avons souhaité souvent perdrix. » À ces paroles se partit Olivier de Mauny et puis s’en revint en la cité de Rennes où il fut reçu joyeusement de tous grands et petits et des dames auxquelles il conta moult de ses nouvelles ; et par espécial à son cousin Bertran du Guesclin conta-t-il comment il avoit exploité ; et s’entrefirent grand’joie, car moult s’entraimoient et firent jusques à la mort, ainsi comme vous orrez conter ci-avant en l’histoire.

Pour lors que ce siége étoit ainsi devant la bonne cité de Rennes étoit monseigneur Charles de Blois au pays, mais il ne se pouvoit armer ; et poursuivoit moult tendrement le régent de France, le duc de Normandie, que il voulsist gens d’armes là envoyer pour lever le siége. Mais le duc de Normandie et les besognes du royaume de France étoient si entroublés qu’il ne pouvoit de rien exploiter. Si demeura ainsi tout le temps, et se tint le siége devant Rennes.


CHAPITRE LVIII.


Comment messire Guillaume de Gauville parlementa avec un bourgeois d’Évreux comment ils reconquêteroient la cité d’Évreux au roi de Navarre.


Or vous vueil-je à recorder comment un chevalier de la comté d’Évreux, appelé messire Guillaume de Gauville, par sa subtilité et sa hardiesse reconquit la cité, le bourg et le châtel d’Évreux qui se tenoit pour le temps du roi de France ; et l’avoit le dit roi conquis sur les Navarrois, ainsi que contenu est ci-dessus en l’histoire.

Cil messire Guillaume de Gauville étoit chevalier de foi et de serment au roi de Navarre ; et trop lui déplaisoit la prise du roi ; et aussi faisoit-il à plusieurs bourgeois de la cité d’Évreux, si amender le pussent : mais ils ne pouvoient