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LIVRE I. — PARTIE II.


CHAPITRE XLI.


Comment messire Jacques d’Audelée en fut mené de la bataille moult navré ; et comment messire Jean Chandos ennorte le prince de chevaucher avant.


On ne vous peut mie de tous parler, dire ni recorder : « Cil fit bien et cil fit mieux ; » car trop y faudroit de paroles : non pourquant d’armes on ne se doit mie légèrement départir ni passer ; mais il y eut là moult de bons chevaliers et écuyers d’un côté et d’autre, et bien le montrèrent ; car ceux qui y furent morts et pris de la partie du roi de France ne daignèrent oncques fuir, mais demeurèrent vaillamment de-lez leur seigneur, et hardiment se combattirent.

D’autre part, on vit chevaliers d’Angleterre et de Gascogne eux aventurer si très hardiment, et si ordonnément chevaucher et requérir leurs ennemis que merveilles seroit à penser, et leurs corps au combattre abandonner ; et ne l’eurent mie davantage ; mais leur convint moult de peines endurer et souffrir ainçois qu’ils pussent en la bataille du roi entrer. Là étoient de-lez le prince et à son frein messire Jean Chandos, messire Pierre d’Audelée, frère de messire Jacques d’Andelée, de qui nous avons parlé ci-dessus, qui fut des premiers assaillans, ainsi qu’il avoit voué, et lequel avoit jà tant fait d’armes, parmi l’aide de ses quatre écuyers, que on le doit bien tenir et recommander pour preux ; car il toudis, comme bon chevalier, étoit entré au plus fort des batailles et combattu si vaillamment que il y fut durement navré au corps, au chef et au visage ; et tant que haleine et force lui purent durer, il se combattit et alla toujours devant, et tant que il fut moult essaigié. Adonc sur la fin de la bataille le prirent les quatre écuyers qui le gardoient et l’amenèrent moult faiblement et fort navré au dehors des batailles, de-lez une haye, pour lui un petit refroidir et éventer ; et le désarmèrent le plus doucement qu’ils purent, et entendirent à ses plaies bander et lier et recoudre les plus périlleuses.

Or reviendrons au prince de Galles qui chevauchoit avant, en combattant et occiant ses ennemis ; de-lez lui messire Jean Chandos par lequel conseil il ouvra et persévéra la journée ; et le gentil chevalier s’en acquitta si loyaument que oncques il n’entendit ce jour à prendre prisonnier ; mais disoit en outre au prince : « Sire, chevauchez avant, Dieu est en votre main, la journée est vôtre. » Le prince qui tendoit à toute perfection d’honneur, chevauchoit avant, sa bannière devant lui, et réconfortoit ses gens là où il les véoit ouvrir et branler, et y fut très bon chevalier.


CHAPITRE XLII.


Comment le duc de Bourbon, le duc d’Athènes et plusieurs autres barons et chevaliers furent morts, et aussi plusieurs pris.


Ce lundi fut la bataille des Anglois et des François, assez près de Poitiers, moult dure et moult forte ; et y fut le roi Jean de France de son côté moult bon chevalier ; et si la quarte partie de ses gens l’eussent ressemblé, la journée eût été pour eux ; mais il n’en avint mie ainsi. Toutefois les ducs, les comtes, les barons et les chevaliers et écuyers qui demeurèrent se acquittèrent à leur pouvoir bien et loyaument, et se combattirent tant que ils furent tous morts ou pris ; peu s’en sauvèrent de ceux qui descendirent à pied jus de leurs chevaux sur le sablon, de-lez le roi leur seigneur. Là furent occis, dont ce fut pitié et dommage, le gentil duc de Bourbon qui s’appelait messire Pierre, et assez près de lui messire Guichard de Beaujeu et messire Jean de Landas ; et pris et durement navré l’Archiprêtre, messire Thibaut de Vodenay et messire Baudouin d’Ennequin ; morts, le duc d’Athènes connétable de France et l’évêque de Châlons en Champagne[1] ; et d’autre part, pris le comte de Waudemont et de Jenville, et le comte de Ventadour, et cil de Vendôme ; et occis, un petit plus dessus, messire Guillaume de Neelle et messire Eustache de Ribeumont ; et d’Auvergne, le sire de La Tour, et messire Guillaume de Montagu ; et pris, messire Louis de Maleval, le sire de Pierre-Buffière, et le sire de Seregnach ; et en celle empainte furent plus de deux cents chevaliers morts et pris.

D’autre part se combattoient aucuns bons chevaliers de Normandie à une route d’Anglois ;

  1. Suivant M. Villani, le roi aurait accepté les conditions proposées par les deux légats médiateurs, les cardinaux de Périgord et d’Urgel, s’il n’en eût été détourné par les conseils violens de ce prélat guerrier, nommé Renaud Chauveau. Cet historien rapporte même le discours que l’évêque tint au roi pour l’animer au combat.