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LIVRE I. — PARTIE II.

Louis de Recombes[1], et portoit un écu d’argent à cinq roses de gueules, et messire Eustache d’hermine à deux hamèdes de gueules, vit venir messire Eustache, si issit de son conroy de la route du comte Jean de Nasço dessous qui il étoit, et baissa son glaive et s’en vint adresser au dit messire Eustache. Si se consuirent de plein eslai et se portèrent par terre ; et fut le chevalier allemand navré en l’épaule : si ne se releva mie si tôt que messire Eustache fist. Quand messire Eustache fut levé, il prit son glaive et s’en vint sur le chevalier qui là gissoit, en grand’volonté de le requerre et assaillir : mais il n’en eut mie le loisir, car ils vinrent sur lui cinq hommes d’armes Allemands qui le portèrent par terre. Là fut-il tellement pressé et point aidé de ses gens, que il fut pris et emmené prisonnier entre les gens du dit comte Jean de Nasço, qui n’en firent adonc nul compte ; et ne sais si ils lui firent jurer prison ; mais ils le lièrent sur un char avecques leur harnois.

Assez tôt après la prise d’Eustache d’Aubrecicourt, se commença le estour de toutes parts ; et jà étoit approchée et commencée la bataille des maréchaux ; et chevauchèrent avant ceux qui devoient rompre la bataille des archers ; et entrèrent tous à cheval au chemin où la grosse haye et épaisse étoit de deux côtés. Sitôt que ces gens d’armes furent là embattus, archers commencèrent à traire à exploit, et à mettre main en œuvre à deux côtés de la haye, et à verser chevaux et à enfiler tout dedans de ces longues sajettes barbues. Ces chevaux qui traits étoient et qui les fers de ces longues sajettes sentoient et ressoignoient, ne vouloient avant aller, et se tournoient l’un de travers, l’autre de côté, ou ils chéoient et trébuchoient dessous leurs maîtres qui ne se pouvoient aider ni relever ; ni oncques la dite bataille des maréchaux ne put approcher la bataille du prince. Il y eut bien aucuns chevaliers et écuyers bien montés, qui par force de chevaux passèrent outre et rompirent la haye, et cuidèrent approcher la bataille du prince ; mais ils ne purent.

Messire Jacques d’Audelée, en la garde de ses quatre écuyers[2] et l’épée en la main, si comme dessus est dit, étoit au premier front de cette bataille, et trop en sus de tous les autres et là faisoit merveilles d’armes ; et s’en vint par grand’vaillance combattre sous la bannière de monseigneur Arnoul d’Andrehen, maréchal de France, un moult hardi et vaillant chevalier ; et se combattirent grand temps ensemble. Et là fut durement navré le dit messire Arnoul ; car la bataille des maréchaux fut tantôt toute déroutée et déconfite par le trait des archers, si comme ci-dessus est dit, avec l’aide des hommes d’armes qui se boutoient entre eux quand ils étoient abattus, et les prenoient et occioient à volonté. Là fut pris messire Arnoul d’Andrehen ; mais ce fut d’autres gens que de messire Jacques d’Audelée, ni des quatre écuyers, qui de-lez lui étoient ; car oncques le dit chevalier ne prit prisonnier la journée, ni entendit à prendre, mais toujours à combattre et à aller avant sur ses ennemis.


CHAPITRE XXXVII.


Comment messire Jean de Clermont, maréchal de France, fut occis ; et comment ceux de la bataille du duc de Normandie s’enfuirent.


D’autre part, messire Jean de Clermont, maréchal de France et moult vaillant et gentil chevalier, se combattoient dessous sa bannière et y fit assez d’armes tant qu’il put durer ; mais il fut abattu, ni oncques puis ne se put relever, ni venir à rançon. Là fut-il mort et occis en servant son seigneur. Et voulurent bien maintenir et dire les aucuns que ce fut pour les paroles qu’il avoit eues la journée devant à messire Jean Chandos. À peine vit oncques homme avenir en peu d’heures si grand meschef sur gens d’armes et bons combattans, que il avint sur la bataille des maréchaux de France ; car ils fondoient l’un sur l’autre et ne pouvoient aller avant. Ceux qui derrière étoient et qui le meschef véoient et qui avant passer ne pouvoient, reculoient et venoient sur la bataille du duc de Normandie qui étoit grand’ et espaisse pardevant : mais tôt fut éclaircie et despaissie par derrière, quand ils entendirent que les maréchaux étoient déconfits ; et montèrent à cheval le plus et s’en partirent ; car il descendit une route d’Anglois d’une montagne, en costiant les batailles, tous montés à cheval, et grand’foison d’archers aussi devant eux, et s’en vinrent férir sur aile sur la bataille du duc de Normandie.

  1. Johnes le nomme Coucibras.
  2. Ils s’appelaient : Dutton de Dutton, Delves de Doddington, Fowlehurst de Crew, Hawkestone de Wainehill.