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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

mer : Hainuyers, messire Eustache d’Aubrecicourt et messire Jean de Ghistelles ; et deux autres bons chevaliers étrangers, messire Daniel Pasele et Denis de Morbeke.

Si vous dis pour vérité que le prince de Galles avoit là avec lui droite fleur de chevalerie, combien qu’ils ne fussent pas grand’foison ; car ils n’étoient, à tout compter, pas plus haut de huit mille hommes ; et les François étoient bien cinquante mille combattants, dont il y avoit plus de trois mille chevaliers.


CHAPITRE XXXVI.


Comment le prince de Galles reconforta sagement ses gens, et comment messire Jacques d’Audelée requit au prince qu’il commençât la bataille, lequel lui accorda.


Quand ce jeune homme le prince de Galles vit que combattre le convenoit, et que le cardinal de Pierregort sans rien exploiter s’en r’alloit, et que le roi de France son adversaire moult peu les prisoit et aimoit, si se reconforta en soi-même, et reconforta moult sagement ses gens, et leur dit : « Beaux seigneurs, si nous sommes un petit contre la puissance de nos ennemis, si ne nous en ébahissons mie pour ce, car la vertu ni la victoire ne gît mie en grand peuple, mais là où Dieu la veut envoyer. Si il avient ainsi que la journée soit pour nous, nous serons les plus honorés du monde ; si nous sommes morts, j’ai encore monseigneur mon père et deux beaux-frères, et aussi mis avez de bons amis, qui nous contrevengeront : si vous prie que vous vouliez huy entendre à bien combattre ; car s’il plaît à Dieu et à Saint-George, vous me verrez huy bon chevalier. » De ces paroles et de plusieurs autres belles raisons que le prince démontra ce jour à ses gens et fit démontrer par ses maréchaux, étoient-ils tous confortés.

De-lez le prince, pour le garder et conseiller, étoit messire Jean Chandos ; ni oncques le jour ne s’en partit, pour chose qui lui avint. Aussi s’y étoit tenu un grand temps messire Jacques d’Audelée, par lequel conseil le dimanche tout le jour la plus grand’partie de l’ordonnance de leurs batailles étoit faite ; car il étoit sage et vaillant chevalier durement, et bien le montra ce jour que on se combattit, si comme je vous dirai. Messire Jacques d’Audelée tenoit en vœu, grand temps avoit passé, que si il se trouvoit jamais en besogne, là où le roi d’Angleterre ou l’un de ses enfans fut et bataille adressât, que ce seroit le premier assaillant et le mieux combattant de son côté, ou il demeurroit en la peine. Adonc quand il vit que on se combattroit et que le prince de Galles fils ains-né du roi étoit là, si en fut tout réjoui, pourtant qu’il se vouloit acquitter à son loyal pouvoir de accomplir son vœu ; et s’en vint devers le prince, et lui dit : « Monseigneur, j’ai toujours servi loyanment monseigneur votre père et vous aussi, et ferai tant comme je vivrai : cher sire, je le vous montre pourtant que jadis je vouai que la première besogne où le roi votre père ou l’un de ses fils seroit, je serois le premier assaillant et combattant ; si vous prie chèrement, en guerdon des services que je fis oncques au roi votre père et à vous aussi, que vous me donnez congé que de vous à mon honneur je me puisse partir et mettre en état d’accomplir mon vœu. »

Le prince, qui considéra la bonté du chevalier et la grand’volonté qu’il avoit de requerre ses ennemis, lui accorda liement et lui dit : « Messire Jacques, Dieu vous doint huy grâce et pouvoir d’être le meilleur des autres ! » Adonc lui bailla-t-il sa main, et se partit le dit chevalier du prince ; et se mit au premier front de toutes les batailles, accompagné tant seulement de quatre moult vaillans écuyers qu’il avoit priés et retenus pour son corps garder et conduire ; et s’en vint tout devant le dit chevalier combattre et envahir la bataille des maréchaux de France ; et assembla à monseigneur Arnoul d’Andrehen et à sa route, et là fit-il merveilles d’armes, si comme vous orrez recorder en l’état de la bataille.

D’autre part aussi messire Eustache d’Aubrecicourt, qui à ce jour étoit jeune bachelier et en grand désir d’acquérir grâce et prix en armes, mit et rendit grand’peine qu’il fut des premiers assaillans : si le fut, ou auques près, à l’heure que messire Jacques d’Audelée s’avança premier de requerre ses ennemis ; mais il en chéy à messire Eustache ainsi que je vous dirai.

Vous avez ci-dessus assez ouï recorder, en l’ordonnance des batailles aux François, que les Allemands qui costioient les maréchaux demeurèrent tous à cheval. Messire Eustache d’Aubrecicourt qui étoit à cheval baissa son glaive et embrassa sa targe et férit cheval des éperons et vint entre les batailles. Adonc un chevalier d’Allemaigne qui s’appeloit et nommoit messire