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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Touraine. Les nouvelles vinrent au roi de France, qui se tenoit en la cité de Chartres, que le prince de Galles malmenoit trop horriblement son pays, et ardoit et exilloit tout devant lui ; de quoi le dit roi fut moult courroucé, et dit qu’il y pourverroit de remède. Si se partit de Chartres et chevaucha vers Blois, et commanda à ses maréchaux que ils fissent hâter et avancer toutes manières de gens d’armes ; et passa la rivière de Loire, car il vouloit aller combattre les Anglois. Le dit roi s’en vint à Blois, et là s’arrêta, et y fut deux jours. Son commandement fut fait. Donc commencèrent gens d’armes, ducs, comtes, barons et chevaliers, et leurs routes, à avaler et à poursuir le roi, qui toudis alloit avant. Il se partit de Blois et vint ce jour gésir à Amboise, et lendemain à Loches[1] ; et là se tint pour apprendre et entendre du convenant des Ànglois, dont tous les jours il oyoit nouvelles ; car les Anglois étoient costiés et poursuis d’aucuns apperts chevaliers de France et de Bourgogne, qui lui en rapportoient, allant et venant, la certaineté. Si entendit le dit roi qu’ils étoient en Touraine et prenoient leur chemin et leur retour devers Poitou.

Lors se partit le roi de France de Loches et vint à la Haie[2] en Touraine ; et ses gens avoient passé la Loire au pont d’Orléans, à Mehun, à Saumur, à Blois et à Tours, et là où ils pouvoient. Et y avoit si grand nombre de bonnes gens, que bien vingt mille hommes d’armes sans les autres ; et y avoit bien six vingt que ducs, que comtes, et plus de sept vingt bannières. Et avoit là le roi ses quatre fils qui pour le temps étoient bien jeunes, monseigneur Charles duc de Normandie, monseigneur Louis qui puis fut duc d’Anjou, monseigneur Jean aussi depuis duc de Berry, et monseigneur Philippe le mains-né qui depuis fut duc de Bourgogne. Si pouvez bien croire et sentir que là étoit toute la fleur de France de chevaliers et d’écuyers, quand le roi de France et ses quatre enfans y étoient personnellement.

En ce temps avoient été envoyés en France de par notre saint père le pape Innocent VIe, monseigneur Taleran cardinal de Pierregort et messire Nicole cardinal d’Urgel[3], pour traiter paix et concorde entre le roi de France et ses malveillans, premièrement contre le roi de Navarre que il faisoit tenir en prison. Et en avoient cils été et parlementé par plusieurs fois au roi de France, le siége de Breteuil durant ; mais rien n’y avoient pu impétrer. Or s’étoit retrait le dit cardinal de Pierregort, après le département et la prise de Breteuil, en la bonne cité de Tours en Touraine : et là lui vinrent les nouvelles que le roi de France se hâtoit moult pour trouver les Anglois. Si que le dit cardinal, mu et encouragé de mettre remède à ces besognes, et d’apaiser s’il eût pu par nulle voie ces deux seigneurs, ou de y mettre moyen ou attemprance que la bataille ne s’adressât point, se partit de Tours hâtivement, et chevaucha devers la cité de Poitiers ; car il entendit que ces deux osts y tiroient à aller ; et tant exploita qu’il y vint.

Nous lairons un petit à parler du cardinal de Pierregort, et parlerons du roi de France qui mettoit grand’entente à ce qu’il pût trouver son adversaire le prince de Galles pour combattre à lui, pour contrevenger ses mautalens et les grands dommages de son royaume.


CHAPITRE XXVIII.


Comment le comte de Joigny, le sire de Coucy et le vicomte de Bruese eu chassant les coureurs du prince se boutèrent en l’ost du prince et y furent pris.


Nouvelles vinrent au roi de France que le prince de Galles se hâtoit durement de retourner au pays dont il étoit parti et venu. Si se douta le dit roi qu’il ne lui échappât, ce qu’il n’eût nullement volontiers vu, tant le désiroit-il à combattre. Si se partit le dit roi de France de la Haie en Touraine, et toutes gens d’armes après lui, et chevauchèrent à Chauvigny ; et vint là le jeudi au soir quinzième jour de septembre, l’an dessus dit mil trois cent cinquante-six. Si se logèrent grand’foison de seigneurs dedans la ville de Chauvigny, et dehors aussi tout contre val un beau pré, au long de la rivière de Creuse[4]. Le vendredi[5] ensuivant, après boire, passa le roi de France la dite rivière au pont de Chauvigny, et cuidoit adonc que les An-

  1. Le roi était certainement à Loches le 13 de septembre.
  2. Petite ville sur la Creuse, à la frontière du Poitou.
  3. Nicolas Cappochi, Romain, évêque d’Urgel.
  4. Chauvigny n’est point sur la Creuse ; cette ville, ainsi que Châtelleraut dont il sera parlé dans la phrase suivante, est située sur la Vienne.
  5. Le vendredi 16 de septembre.