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LIVRE I. — PARTIE II.

à demeurer en Normandie, et avec lui le Bascle de Marueil et aucuns chevaliers Navarrois pour garder les frontières jusques à leur retour, et vinrent à Chierebourch, et là montèrent-ils en mer ; et exploitèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent à Hantonne ; là prirent-ils terre en Angleterre et puis issirent de leurs vaisseaux, et se rafraîchirent en la ville un jour. À lendemain ils montèrent sur leurs chevaux et chevauchèrent tant que ils vinrent à Cenes[1], où le roi d’Angleterre se tenoit, assez près de Londres, car tous ses consauls étoient adonc à Londres.

Vous devez savoir que le roi reçut à grand’joie son cousin monseigneur Philippe de Navarre et monseigneur Godefroy de Harecourt, car il étoit jà tout informé de leur matière ; si en pensoit bien mieux à valoir en fortifiant sa guerre. Les dessus dits firent leur plainte au roi, l’un de la mort de son neveu, l’autre de la prise et du grand blâme, et sans cause, ce disoit, que on faisoit à son frère. Si s’en traioient par devers le roi d’Angleterre, comme au plus droiturier seigneur de toute chrétienté, pour avoir vengeance et amendement de ce fait qu’ils regardoient à trop grand’chose. Et au cas que il les en voudroit adresser, conforter et conseiller, ils lui rapporteroient et mettroient en ses mains cités, villes et châteaux que ils tenoient en Normandie, et que le roi de Navarre et le comte de Harecourt y tenoient au jour de leur prise.

Le roi d’Angleterre n’eut jamais refusé ce présent, mais leur dit que volontiers les aideroit et feroit aider par ses gens : « Et pour ce que votre fait demande hâtive expédition, et que voici la saison qu’il fait bon guerroyer, mon beau cousin de Lancastre est sur les frontières de Bretagne[2] ; je lui écrirai et manderai espécialement que à tout ce qu’il a de gens il se trait devers vous, et encore y envoierai-je temprement, tant que pour faire bonne guerre à vos ennemis. Si commencerez à guerroyer celle saison, et toudis vous croîtra et viendra devant la main force, aide et puissance. » — « Cher sire,

    prisonnement de Charles de Navarre, Louis alla dans la Navarre, où il gouverna le royaume au nom de son frère, et ce fait, dit Secousse, est confirmé par une lettre que le pape écrivit conjointement à ce prince, aux seigneurs et au peuple de la Navarre, par laquelle il les exhortait à tâcher d’apaiser la colère du roi plutôt que de l’irriter par une guerre civile.

  1. Johnes croit que ce nom est mis pour Chertsey près de Windsor, pour l’embellissement duquel Édouard, qui y était né, dépensa des sommes considérables ; mais il est évident qu’il s’agit de Sheen, aujourd’hui Richmond.
  2. Robert d’Avesbury rapporte une pièce intéressante contenant ce que fit jour par jour le duc de Lancastre depuis son arrivée en Normandie jusqu’à sa retraite ; l’historien, contre sa coutume, ne nomme point l’auteur de cette pièce, mais elle n’en a pas moins tous les caractères de l’originalité et de l’authenticité ; elle est précédée de ce titre : De Transitus nobilis ducis Lancastriæ per medium Normannorum ad removendum obsidionnes castrorum de Pount-Odomer et Brioil regis Navarriæ : la voici toute entière :

    « Ce sount les journés de la chivaché mounseir le ducz de Lancastre en Normandie, q’avoit en sa companye mounseir Johan de Montfort qe chalange d’estre ducz de Bretainge, et de l’enfaunce avoit esté nurry od le roy d’Engleterre. Et avoit V cents hommes d’armes et VIII cents archiers, et sire Phelipe friere au roy de Navarre et sire Godfray de Harecourt viendrent à ly od C hommes d’armes de la païs ; et Robert Knolles amesna de garnesons de Bretaigne CCC hommes d’armes et D cents archiers ; si qe mounseigneur le ducz avoit en toutz DCCCC hommes d’armes et mil CCCC archiers. Et le mescredy proschain devant la feste de Seint Johan Le Baptistre1 se remua de l’abbeie de Mountburghe2 en la isle de Constantin à Carant hors de l’isle V leages de la terre, dount chescun leage est pluis long de II leages d’Engleterre, et demurreit illesqes la veille de la dite feste. Et le vendredy en le dit feste il se remua en passaunt devaunt la forte ville de Seint Lou tanqe à Trojoye3 q’est d’illesqes VIII leages de la terre, et là demeureit-il le samady. Et la dismenge il se remua à Frosseye4 par VII leages de la terre. Et la lundy il se remua en passant par devaunt Came à la ville d’Argentyne5 par VII leages de la terre. Et le mardy il se remua en passaunt le pount de Corbour6 q’est une très graunt forteresse et le pluis fort passage qe soit del roialme en un mareis par VII leages de la terre tanqe ai citée de Lyseus. Et le mescredy il se remua par VI leages de la terre tanqe à la ville et le chastiel de Pount-Odomer qe sount au roy de Navarre, quelle chastiel fust assiegé ove très graunt nombre dez gentz d’armes et arblastiers. Et quaunt ils oieirent qe monseigneur le ducz estoit passé le dit Pount Corboun, ils se fuirent de nuyt ove trop graunt haste, issint q’ils lasserount toutz lour

    1 La fête de saint Jean fut cette année le vendredi ; ainsi le mercredi dont il s’agit était le 22 juin.

    2 Montebourg, abbaye de bénédictins avec un gros bourg du même nom, à une lieue et demie de Valognes.

    3 Ce nom est altéré et il est difficile de le reconnaître ; peut-être est-ce Turry, sur l’Orne.

    4 Ce lieu, supposé qu’il ait jamais existé sous ces noms, nous est absolument inconnu.

    5 Quoique ce nom ressemble beaucoup à celui d’Argenton, la distance de cette ville à celle de Caen nous porte à croire qu’il s’agit plutôt ici d’Argences, bourg situé sur la Meance, à trois lieues de Caen.

    6 Corbon, sur la rivière de Vie, un peu au-dessus du confluent de cette rivière avec la Dive. Le marais dont parle l’auteur de la relation, se trouvait probablement entre ces deux rivières.