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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

lerie, desquels de nom et de surnom et les plus renommés j’ai fait mention. Si que, quand le prince fut venu à Bordeaux, ce fut environ la Saint-Michel, il manda tous les barons et chevaliers de Gascogne desquels il pensoit à être servi et aidé. Premièrement, le seigneur de Labreth et ses frères, les trois frères de Pommiers, messire Jean, messire Hélie et messire Aymon, messire Aimery de Tarste, le seigneur de Mucident, le seigneur de Courton, le Seigneur de Langheren, le seigneur de Rosem, le seigneur de Landuras, messire Bernardet de Labreth, le seigneur de Gironde, messire Jean de Grailly captal de Buch, messire le Souldich de l’Estrade et tous les autres.

Quand ils furent tous venus à Bordeaux, il leur remontra son entente, et leur dit qu’il vouloit chevaucher en France, et qu’il n’étoit mie là venu longuement séjourner. Cils seigneurs répondirent qu’ils étoient tous appareillés d’aller avec lui, et que aussi en avoient-ils grand désir. Si jetèrent leur avis l’un par l’autre, que en cette chevauchée ils se trairoient vers Toulouse, et iroient passer la rivière de Garonne d’amont dessous Toulouse, au port Sainte-Marie ; car elle étoit durement basse et la saison belle et sèche. Si faisoit bon hostoier.

À ce conseil s’accordèrent les Anglois ; et fit chacun son appareil du plutôt qu’il put. Si se départit le prince de Bordeaux belles gens d’armes ; et étoient bien quinze cents lances, onze mille archers et trois mille bidaus, sans les varlets que les Gascons menoient avec eux. Si n’entendirent ces gens d’armes à prendre ni à assaillir nulle forteresse, jusques à tant que ils eurent passé la Garonne au port Sainte-Marie, à trois lieues près de Toulouse ; et la passèrent adonc à gué. Ni, passé avoit vingt ans, ceux du pays ne l’avoient vue si petite que elle fut en celle saison.

Quand les Anglois et les Gascons furent outre et logés au pays toulousain, ceux de Toulouse se commencèrent durement à ébahir quand ils sentirent les Anglois si près d’eux. En ce temps, étoit en la cité de Toulouse le comte d’Armignac auquel ceux de Toulouse avoient grand’fiance, et c’étoit raison ; autrement ils fussent trop déconfortés et à bonne cause, car ils ne savoient adonc que c’étoit de guerre. Pour ce temps, la cité de Toulouse n’éloit roie grandement menre que la cité de Paris ; mais le comte d’Armignac fit abattre tous les faubourgs. Ni en un seul lieu il avoit plus de trois maisons. Et le fit pour ce qu’il ne vouloit mie que les Anglois se vinssent loger ni bouter le feu.

Ce premier jour que les Anglois eurent passé la rivière de Garonne, le prince et tout son ost se logèrent dessus le pays en un très beau vignoble, et les coureurs vinrent courir jusques aux barrières de Toulouse ; et là y eut forte escarmouche des uns aux autres, des gens le comte d’Armignac et des Anglois ; et quand ils eurent fait leur entreprise, ils retournèrent à leur ost et emmenèrent aucuns prisonniers. Si passèrent celle nuit tout aise, car ils avoient bien trouvé de quoi. À lendemain au matin, le prince et tous les barons de l’ost et leurs suivans s’armèrent et montèrent aux chevaux ; et se mirent en ordonnance de bataille et chevauchèrent tout arréement, bannières déployées, et approchèrent la cité de Toulouse. Lors cuidoient bien ceux de Toulouse avoir l’assaut, quand ils virent ainsi en bataille les Anglois approcher : si se mirent tout en ordonnance aux portes et aux barrières par connétablies et par métiers[1], et se trouvèrent bien, de communautés, quarante-neuf mille hommes qui étoient en grand’volonté de combattre les Anglois ; mais le comte d’Armignac leur défendoit et leur alloir au devant ; et disoit que, si ils issoient hors, ils seroient tous perdus, car ils n’étoient mie usés d’armes aini qpe les Anglois et les Gascons, et ne pouvoient faire meilleur exploit que de garder leur ville.

Ainsi se tinrent tons cois ceux de Toulouse et ne voulrent désobéir au commandement du comte d’Armignac qu’il ne leur en mesvenist, et se tinrent devant leurs barrières. Le prince de Galles et ses batailles passèrent tout joignant Toulouse, et virent bien une partie du convenant de ceux de Toulouse, que si on les assailloit ils se défendroient. Si passèrent outre tout paisiblement sans rien dire, et ne furent ni traits ni bersés, et prirent le chemin de Mont-Giscar, à trois lieues avant, en allant vers Carcassonne. Si se logèrent ce second jour les Anglois et les Gascons assez près de là sur une petite rivière, et le lendemain bien matin se délogèrent et approchèrent la forteresse qui n’étoit fermée,

  1. Les corporations de métiers étaient formées en autant de compagnies commandées par leurs doyens.