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LIVRE I. — PARTIE II.

avoient renouvelé leurs ordonnances et avoient fait sept routes pour passer plus aise ces détroits de Tuide ; et de ces montagnes naît la rivière de Tuyde, qui anciennement suelt départir Escosse et Angleterre ; et tournoie celle rivière en plusieurs lieux en Escosse et en Angleterre, et sur sa fin, dessous Bervich, elle s’en vient férir en la mer, et là est-elle moult grosse. Le comte Douglas et sa route, où bien avoit cinq cents armures de fer, s’en vinrent, ainsi que je vous dis, férir d’un rencontre sur ces Anglois, où il avoit plusieurs hauts barons et chevaliers d’Angleterre et de Brabant. Là furent ces Anglois reculés et reboutés, et en y eut plusieurs rués par terre, car ils chevauchoient sans arroi ; et si ils eussent attendu l’autre route, ils fussent venus à leur entente, car le roi y étoit qui fut tantôt informé de ce rencontre. Adonc sonnèrent les trompettes du roi, et se recueillirent toutes gens qui ces montagnes avoient à passer ; et vint là l’arrière garde, le comte de Sallebrin et le comte de La Marche, où bien avoit cinq cents lances et mille archers. Si férirent chevaux des éperons et s’en vinrent de-lez le roi. Si boutèrent hors leurs bannières. Tantôt les Estots perçurent qu’ils avoient failli à leur entente, et que le roi étoit derrière. Si n’eurent mie conseil de là plus attendre, ainçois se partirent ; mais ils emmenèrent plusieurs bons chevaliers d’Angleterre et de Brabant pour prisonniers qui là leur chéirent ens ès mains.

Ils furent tantôt évanouis ; on ne sçut qu’ils devinrent ; car ils se reboutèrent entre les montagnes ens ou fort pays. Si fut le sre de Baudresen près attrapé, car il étoit en celle compagnie ; mais il chevauchoit tout derrière, et ce le sauva, mais il y eut pris six chevaliers de Brabant.

Depuis cette avenue chevauchèrent toudis les Anglois plus sagement et mieux ensemble, tant qu’il furent dans leurs pays, et passèrent Rosebourch[1] et puis parmi la terre le seigneur de Percy, et firent tant qu’ils vinrent au Neuf-Châtel sur Tyne ; et là se reposèrent et rafraîchirent ; et donna le roi d’Angleterre congé à toutes manières de gens pour retraire chacun en son lieu. Si se mirent au retour, et le roi proprement aussi, qui peu séjourna sur le pays, si fut venu à Windesore, où madame la roine sa femme tenoit l’hôtel grand et étoffé.


CHAPITRE XIX.


Comment le prince de Galles se départit de Bordeaux avec son armée et courut tout le pays de Toulousain, de Narbonnois et de Carcassonnois, ardant et exilant tout en deça et au delà de l’Aude.


Or, nous reposerons-nous à parler une espace du roi d’Angleterre, et prierons de son ains-né fils monseigneur Édouard, prince de Galles, qui fit en celle saison et mit sus une grande et belle chevauchée de gens d’armes Anglois et Gascons, et les mena en un pays où ils firent grandement bien leur profit, et où oncques Anglois n’avoient été. Et tout ce fut par l’ennort et ordonnance des Gascons, que le dit prince avoit de-lez lui de son conseil et en sa compagnie.

Vous avez bien ci-dessus ouï recorder comment aucuns barons de Gascogne vinrent en Angleterre, et firent prière au roi d’Angleterre qu’il leur voulsist bailler son fils le prince de Galles pour aller en Gascogne avec eux, et que tous ceux de par delà qui pour Anglois se tenoient, en seroient trop grandement réjouis et réconfortés ; et comment le roi leur accorda, et délivra à son fils mille hommes d’armes et onze mille archers, où il avoit grand’foison de bonne cheva-

  1. Ce fut en allant à Édinburgh qu’Édourd passa à Roxburgh, où il reçut l’hommage d’Édouand Baliol, roi d’Écosse, le 26 janvier 1355, en faisant commencer l’année à Pâques, suivant l’acte de cession rapporté par Robert d’Avesbury. Le récit de J. Fordun indique toute l’indignation qu’un acte de bassesse semblable à celui de Baliol devait exciter dans les cœurs écossais.

    Voici sa narration simple et énergique :

    Nec prætermittendum, quod anno eodem statim incontinenti post deliberacionem villæ Berwici, prædicto regi apud Roxburghe personaliter existenti, priusquàm ulteriùs in terram Scociæ progrederetur. Edwardus de Balliolo, tanquam leo rugiens, occurrebat, et vix se ipsum præ irà capiens, in hæc verba, omni morte acerbiora, prorupit dicens : « O rex et optime princeps, quem præ cæteris mundi mortalibus hiis diebus novi potenciorem, causam meam et omne jus quod habeo vel habere potero in regno Scociæ, merè, simpliciter, et absolutè tibi tribuo, ut ulciscaris me de inimicis meis, gente videlicet Scoticanà, nacione falcissimà, quæ me semper abjecerunt, ne regnarem super eos. » In cujus facti evidentià coronam regiam, terram et lapides de homo Scociæ proprià manu sibi dicens, offerabat. « Hæc inquit, omnia, in signum vestituræ, tibi dono. Tantùm virililer age, et esto robustus, ac regnum, mihi olim debitum, tuis quæras imperpetuum. » Quà in re hoc quoque notandum est quia nijil à se dédit, quia nullum jus ab inicio habuit, tunc in manus alterius resignavit.