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LIVRE I. — PARTIE II.

et les Anglois étoient outre à Fauquemberg, et l’avoient toute robée et pillée. À lendemain, s’en partit le roi d’Angleterre et toute son ost, et passèrent à Lieques et dessous Arde, et rentrèrent ce jour en la ville de Calais. Messire Arnoul d’Andrehen qui, allant et venant, avoit toudis côtoyé les Anglois, et tenu si court, que l’arrière garde ne s’étoit oncques osé desfoucquer, poursuivit les Anglois de si près que, au rentrer en Calais, il se férit en la queue et partit à leur butin, et eut de leurs chevaux et de leur pillage et bien dix ou douze prisonniers, et puis s’en retourna en la bastide d’Arde, dont il étoit capitaine.

Ce propre jour vint le roi de France gésir à Fauquemberg et toute son ost là environ, où bien avoit plus de cinquante mille hommes. Si s’en vinrent là les François celle nuit, et lendemain au matin vint le maréchal de France messire Arnoul d’Andrehen, qui apporta nouvelles au roi ; que les Anglois étoient retraits en la ville de Calais. Quand le roi de France entendit ces nouvelles, si demanda conseil quelle chose il feroit ; on lui dit que de chevaucher plus avant contre les Anglois il perdroit sa peine, mais se retraisist vers Saint-Omer et là auroit nouvel avis. À cette ordonnance s’accorda le roi, et se retraist vers Saint-Omer et toutes ses gens aussi ; et se logea le dit roi en l’abbaye de Saint-Bertin qui est abbaye royale. Là, manda le roi tous les barons et les plus espéciaux de son conseil à savoir comment de cette chevauchée il pourroit issir à son honneur, car il étoit informé que le roi d’Angleterre étoit encore arrêté à Calais. Si fut adonc le roi conseillé qu’il envoyât messire Arnoul d’Andrehen et messire Boucicaut devers le roi d’Angleterre, lesquels deux chevaliers il connoissoit assez bien ; et lui demandassent bataille de cent à cent, ou de mille à mille, ou de pouvoir à pouvoir, « et que vous lui livrerez place et pièce de terre par l’avis de six de vos chevaliers et de six des siens. »

Le roi tint ce conseil à bon ; et montèrent les deux chevaliers, et se départirent de Saint-Omer ; et chevauchèrent vers Calais et envoyèrent devant un héraut pour impétrer un sauf-conduit. Il leur rapporta à Arde : donc chevauchèrent les dessus dits chevaliers outre, et vinrent jusques à Calais.

En ce propre jour au matin étoit arrivé au hâvre de Calais celui qui apportoit les nouvelles de Bervich, comment les Escots avoient pris le châtel de Bervich[1] et voulu écheller Rosebourch. Si en étoit encore tout pensieux et mérancolieux, et en avoit parlé ireusement au seigneur de Grastoch, qui la terre de Bervich, la cité et le dit châtel avoit en garde, quand il s’en étoit parti tellement que il n’y avoit mis si bonnes gardes que nul dommage ne l’en fut pris ; et de ce l’avoit-îl grandement blâmé. Mais le sire de Grastoch s’étoit à son pouvoir excusé, en disant qu’il y avoit laissé gens assez, mais qu’ils en eussent bien soigné. Si avoit le roi ordonné de retourner en Angleterre et dit ainsi : « Que lui venu à Douvres, il ne giroit jamais en une ville que une nuit, si auroit été à Bervich et atourné tel le pays que on diroit : « Ci sist Escosse. »

Nonobstant ce et ordonnance que il avoit mis de retourner en Angleterre, quand il sçut que les chevaliers de son adversaire le roi Jean vouloient parlementer à lui, il cessa de son ordonnance tant que il les eut ouïs ; et les fit venir avant devant lui, et ne leur fit nul semblant, en langage ni autrement, que il voulsist partir si soudainement ni retourner en Angleterre.

Quand messire Arnoul d’Andrehen et messire Boucicaut furent venus devant le roi, ils l’inclinènent et saluèrent bien et à point, ainsi que ils le sçurent bien faire et qu’à lui appartenoit, et puis lui remontrèrent pourquoi il étoient là venus en requérant la bataille, ainsi que ci-dessus est contenu et qu’ils étoient chargés d’en dire. Le roi d’Angleterre répondit à ce briévement en regardant sur messire Boucicaut, et leur dit : « Du temps que j’ai chevauché en France et logé devant Blangis bien dix jours, je lui mandai, ainsi que vous savez, que je ne désirois autre chose que la bataille. Or me sont venues autres nouvelles, pourquoi je ne me combattrai mie à l’ordinaire de mes ennemis, mais ils à volonté de mes amis. »

Ce fut la réponse finale que ils en purent du roi avoir et porter. Si prirent congé et se partirent de Calais et retournèrent arrière à Saint-Omer ; et recordèrent au roi de France et à son conseil la réponse, tout ainsi que ils l’avoient

  1. Thomas Otterbourne, John Fordun et la Scala chronica, qui parlent de cette expédition de Douglas, prétendent qu’il n’y eut qu’une tour et la ville de prise, mais que le château tint bon.