Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1354]
303
LIVRE I. — PARTIE II.

qui puissamment et sagement avoit régné contre tous ses voisins. Si reschéi la terre et la duché de Brabant à madame Jeanne son ains-née fille ; car messire Godefroi son fils étoit mort. Si fut cette dame ducoise de Brabant, et épousa monseigneur Wincelin de Bohëme[1], né de la sœur monseigneur le duc de Bourbon[2]. Si étoit ce sire Wincelin pour ce temps moult jeune, mais il étoit conseillé de son bel oncle monseigneur Jakemes de Bourbon qui entendoit à ses besognes, et jà était-il duc de Luxembourch[3]. Si fit en sa nouvéleté à ce jeune duc de Brabant et de Luxembourch, le comte Louis de Flandre[4] grand’guerre, pour la cause de madame sa femme, qui fille avoit été au duc de Brabant, pour avoir sa parçon ; et par espécial il demandoit à avoir Malines et Anvers et les appendances ; et disoit et proposoit et remontroit le dit comte, par sceaux, que le duc Jean de Brabant, quand il prit sa fille en mariage, lui avoit donné et accordé à tenir après son décès.

Ces demandes venoient à grand contraire à madame Jeanne ducoise de Brabant et au jeune duc son mari, et à tous les barons du pays et les bonnes villes aussi, car ils n’en savoient parler ; et l’avoit le duc Jean fait secrètement, car si comme ci-dessus en cette histoire est dit, quand le duc de Brabant maria sa fille au comte de Flandre, il acata le mariage. Pour lesquelles demandes grands guerres en ce temps s’émurent entre les pays de Brabant et de Flandre, et y eut plusieurs batailles et rencontres, et durèrent trois ans ou environ[5]. Finalement le comte Guillem de Hainaut, fils à Louis de Bavière[6] le roi d’Allemaigne, y trouva un moyen parmi le bon conseil qu’il eut ; et fit lier toutes les parties tellement qu’il en fut du tout à son dit. Si on détermina sur les marches de Flandre, de Brabant et de Hainaut, et ordonna adonc bonne paix entre les pays de Flandre et de Brabant ; mais Malines et Anvers, qui sont deux grosses villes et de grand profit, demeurèrent au comte de Flandre.

Je me suis de cette manière passé assez briévement, pourtant qu’elle ne touche de rien au fait de ma principale matière des guerres de France et d’Angleterre.


CHAPITRE XV.


Cy parle des alliances du roi Charles de Navarre et des enfans de Navarre avec le roi d’Angleterre.


Le roi de France avoit pris en si grand’haine le fait de son connétable que les enfans de Navarre avoient fait mourir, que il n’en pouvoit issir ; ni les enfans de Navarre, pour amendes qu’ils en sçussent offrir ni présenter, le roi de France n’y vouloit entendre, mais il les faisoit guerroyer de tous côtés. Quand ils virent ce, si s’avisèrent qu’ils se traitoient en Angleterre et se fortifieroient des Anglois et les mettroient en leurs châteaux en Normandie ; autrement ils ne pouvoient venir à paix, si ils ne faisoient guerre. Si se départirent de Chierebourch et montèrent en mer et arrivèrent en Angleterre. Si firent tant qu’ils vinrent à Windesore où ils trouvèrent le roi et grand’foison de seigneurs, car c’étoit à une fête de Saint Georges que ils fêtoient. Si fut le roi de Navarre grandement bien venu et conjoui du roi d’Angleterre et de tous les barons, et aussi fut messire Philippe son frère[7].

    cembre 1355 à l’âge de 59 ans : il laissa en mourant trois filles, Jeanne, dont il va être question ici, Marguerite, mariée à Louis de Male, comte de Flandre, et Marie qui épousa Rainier, duc de Gueldres.

  1. Jeanne, veuve de Guillaume III, comte de Hollande et de Hainaut, épousa en 1345 Wenceslas, duc de Luxembourg, frère de l’empereur Charles IV.
  2. Wenceslas était fils de Jean de Luxembourg, roi de Bohême, tué à la bataille de Crécy, et de sa seconde femme Béatrix, fille de Louis Ier duc de Bourbon. Ainsi Wenceslas se trouvait, comme le dit l’historien, neveu de Jacques de Bourbon comte de La Marche, frère cadet de sa mère.
  3. Son frère Charles IV, empereur d’Allemagne n’érigea le comté de Luxembourg en duché, en sa faveur, que le 13 mai 1354.
  4. Louis de Male, comte de Flandre, beau-frère de Jeanne dont il avait épousé la sœur cadette Marguerite.
  5. Cette guerre ne dura pas même deux ans au lieu de trois. Jean-le-Triomphant, père de Jeanne, mourut en octobre 1355 ; la guerre ne commença qu’en 1356 et le traité de paix est du mois de juin 1357. Cet événement n’est pas placé dans le texte sous sa véritable date.
  6. Guillaume de Hainaut était fils de Louis Ier de Bavière, empereur d’Allemagne, et de sa seconde femme Marguerite de Hainaut.
  7. Les autres historiens ne font aucune mention de ce voyage du roi de Navarre et de son frère en Angleterre. Secousse a réuni, dans ses Mémoires sur Charles II de Navarre, tout ce qui était relatif à cette époque, et on ne trouve rien qui y fasse la moindre allusion. On y voit seulement, d’après la déposition de Friquet, gouverneur de Caen pour le roi de Navarre que le duc de Lancastre, auparavant comte de Derby, qui était alors en Flandre, fit offrir au roi de Navarre le secours de son parent le roi d’Angleterre contre la vengeance du roi Jean ; que le