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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

de Calais. Si attendirent là l’un l’autre, et envoya le dit messire Geffroy jusqu’au châtel de Calais deux de ses écuyers, pour aller au châtelain, et savoir s’il étoit heure et si ils se trairoient avant. Les écuyers tout secrètement chevauchèrent outre, et vinrent jusques au château, et trouvèrent Aimery qui les attendoit ; et parla à eux, et leur demanda où messire Geffroy étoit. Ils répondirent qu’il n’étoit pas loin, mais il les avoit envoyés pour savoir s’il étoit heure. Messire le Lombard dit : « Oil, allez devers lui, et si le faites traire avant ; je lui tiendrai son convent, mais qu’il me tienne le mien. » Les écuyers retournèrent et dirent tout ce qu’ils avoient vu et ouï. Adonc se traist avant messire Geffroy, et par ordonnance fit passer toutes gens d’armes et arbalétriers aussi, dont il y avoit grand’foison ; et passèrent tout outre la rivière et le pont de Nieulay, et approchèrent Calais. Et envoya devant le dit messire Geffroy douze de ses chevaliers et cent armures de fer pour prendre la saisine du châtel de Calais ; car bien lui sembloit que, si il avoit le châtel il seroit sire de la ville, parmi ce qu’il étoit assez fort de gens, et encore sur un jour il en auroit assez, si il étoit besoin. Et fit délivrer à messire Oudard de Renty[1], qui étoit de cette chevauchée, vingt mille écus pour payer Aimery, et demeura tout quoi avec ses gens le dit messire Geffroy, sa bannière devant lui, sur les champs, au dehors de la ville et du châtel ; et étoit son entente que par la porte la ville il entreroit en Calais, autrement n’y vouloit-il entrer.

Aimery de Pavie, qui étoit tout sage de son fait, avoit avalé le pont du châtel de la porte des champs : si mit dedans tout paisiblement tous ceux qui entrer y vouldrent. Quand ils furent à mont au châtel, ils cuidèrent que ce dût être tout leur. Adonc demanda Aimery à messire Oudard de Renty où les florins étoient. On les lui délivra tous prêts en un sac, et lui fut dit : « Ils y sont tous bien comptés, tenez, comptez-les si vous voulez. » Aimery répondit : « Je n’ai mie tant de loisir, car il sera tantôt jour. » Si prit le sac aux florins et dit, en jetant en une chambre : « Je crois bien qu’ils y soient. » Et puis recloy l’huis de la dite chambre, et dit à messire Oudard : « Attendez-moi ci et tous vos compagnons, je vous vais ouvrir celle maître tour, par quoi vous serez plus assurs et seigneurs de céans. » Si se tira celle part et tira le verrouil outre ; et tantôt fut la porte de la tour ouverte. En celle tour étoient le roi d’Angleterre et son fils, et messire Gautier de Mauny, et bien deux cents combattans qui tantôt saillirent hors les épées et les haches en leurs mains, en écriant : « Mauny, Mauny, à la rescousse ! » et en disant : « Cuident donc ces François avoir reconquis à si peu de fait le châtel et la ville de Calais ? »

Quand les François virent sur eux ces Anglois si soudainement, si furent tous ébahis, et virent bien que défense n’y valoit rien ; si se rendirent prisonniers et à peu de fait : de ces premiers n’y eut gaires de blessés. Si les fit-on entrer en celle tour dont les Anglois étoient partis, et là furent enfermés : de ceux-là furent les Anglois tous assurés. Quand ils eurent ainsi fait, ils se mirent en ordonnance, et partirent du châtel, et se recueillirent en la place devant le châtel ; et quand ils furent tous ensemble, ils montèrent sur leurs chevaux, car bien savoient que les François avoient les leurs, et firent leurs archers tous devant eux, et se trairent en cel arroy devers la porte de Boulogne. Là étoit messire Geffroy de Chargny, sa bannière devant lui, de gueules à trois écussons d’argent, et avoit grand désir d’entrer premier en la ville ; et de ce que on ouvroit la porte si longuement, il en avoit grand’merveille, car il voulsist bien avoir plutôt fait ; et disoit aux chevaliers qui étoient de-lez lui : « Que ce Lombard la fait longue[2] ! il nous fait ci mourir de froid. » — « En nom Dieu, messire Pepin de Were, Lombards sont malicieuses gens : il regarde vos florins s’il en y a nuls faux, et espoir aussi s’ils y sont tous. »

Ainsi bourdoient et jangloient là les chevaliers l’un à l’autre. Mais ils ouïrent tantôt autres nouvelles, car evvous le roi dessous la bannière messire Gautier de Mauny, et son fils de-lez lui, et aussi autres bannières, du comte de Stanfort, du comte d’Askesuffort, de messire Jean de Montagu frère au comte de Salebrin, du seigneur de Beauchamp, du seigneur de Bercler, du seigneur de la Ware. Tous cils étoient barons

  1. Oudart de Renty était, sans doute, rentré en grâce auprès du roi ; car on a vu précédemment qu’il avait été banni du royaume et qu’il avait embrassé le parti des Flamands alliés du roi d’Angleterre.
  2. Que ce Lombard tarde long-temps !