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LIVRE I. — PARTIE I.


cardinaux en son ost, envoyés en légation[1] de par le pape Clément qui régnoit pour ce temps. Ces deux cardinaux se mirent en grand’peine tantôt d’aller de l’un ost à l’autre, et volontiers eussent vu que le roi d’Angleterre eût brisé son siége, ce qu’il n’eût jamais fait. Toutefois sur certains articles et traités d’accord et de paix, ils procurèrent tant que un répit fut pris entre ces deux rois et leurs gens, là étant au siége et sur les champs seulement ; et mirent par leurs promotions, de toutes parties, quatre seigneurs ensemble qui devoient parlementer de paix. De la partie du roi de France y furent le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon, messire Louis de Savoye et messire Jean de Hainaut[2] ; et du côté des Anglois, le comte Derby, le comte de Norhantonne, messire Regnault de Cobehen et messire Gautier de Mauny. Et les deux cardinaux étoient traiteurs et moyens allans de l’un à l’autre. Si furent tous ces seigneurs, trois jours, la greigneur partie du jour ensemble, et mirent plusieurs devises et prêchemens avant, desquelles nulles ne vinrent à effet.

Entrementes que on parlementoit et ces trêves durans, le roi d’Angleterre faisoit toujours efforcer son ost et faire grands fossés sur les dunes, par quoi les François ne les pussent surprendre. Et sachez que ce parlement et détriement ennuyoit durement à ceux de Calais, qui volontiers eussent vu plus tôt leur délivrance, car on les faisoit trop jeûner. Ces trois jours passèrent sans paix et sans accord, car le roi d’Angleterre tenoit toudis son opinion que il seroit sire de Calais, et le roi de France vouloit qu’elle lui demeurât. En cel estrif se partirent les parties, ni on ne les put depuis rassembler. Si s’en retournèrent les cardinaux à Saint-Omer,

Quand le roi Philippe vit que perdre lui convenoit Calais, si fut durement courroucé ; et à envis se partoit sans aucune chose faire ; et si ne pouvoit aller avant ni combattre les Anglois qu’ils ne fussent tous perdus davantage : si que, tout considéré, le séjourner là ne lui étoit point profitable ; si ordonna à départir et déloger[3]. Si

    roioms prendre aultre quatre de lour estat et qe mesmes les huit chivalers feisent le serment q’ils alassent veer et cercher les places, tanqe ils fussent en accorde. Et ceaux de l’aultre partie maintenant quant ils avoient oye ceste respounse commencèrent de varier en lour offres et de parler de la ville tut novel auxy, come entrelessaunt le bataille ; issint ne se voleient tenir à nul certain. Et sour ceo le jeofdy4 devaunt le jour, nient5 countre esteauntz les parlauntz suisditz de notre dit adversarie, s’en départi od toutes ses gentz, auxi come disconfist ; et hasterent taunt q’ils ardèrent lour tentes et graunt partie de lour herneys à lour départir. Et noz gentz les pursuerent bien près à la cowe ; issint à rescrivere du cestes n’estoient ils mye unqore revenuz, et par cele cause nous n’avons mye unqore pris purpos en certain du ceo qe nous en ferrons pluis avant. Mais toutes voies nous pensoms de chivacher sour l’esploit de notre guerre, si en haste come nous purrons, od l’aide de Dieux, etc. »

    Il serait inutile après cette lettre de rapporter les récits des différens historiens contemporains, qui sont tous plus ou moins erronés : on les trouvera réunis et discutés dans le second mémoire de M. de Brequigny sur Calais, que nous avons déjà cité plusieurs fois. On y verra aussi les raisons dont il se sert pour prouver la vérité des faits contenus dans la lettre d’Édouard et pour expliquer la conduite singulière des deux rois dans cette circonstance. Celle d’Édouard se conçoit : après avoir eu la gloire d’accepter le défi, il lui restait mille moyens de l’éluder. Mais quel pouvait être l’espoir de Philippe en marchant vers Calais à la tête d’une armée innombrable ? Croyait-il inspirer assez de terreur à son ennemi pour l’engager à lever le siége sans attendre son approche ? Il devait trop savoir que le nombre ne l’effrayait pas, et que la journée de Crécy n’était pas encore effacée de sa mémoire.

    1 Le 27 juillet.

    2 Le 31 juillet.

    3 Le vendredi 13 août.

    4 Jeudi 2 août.

    5 C’est-à-dire, sans aucun égard pour les propositions de ses ambassadeur.

  1. Ces légats étaient Annibal Ceccano, évêque de Tusculum, et Étienne Aubert, cardinal du titre de Saint-Jean et de Saint-Paul. On a dû voir par la lettre que nous venons de rapporter que Froissart a eu tort de placer le défi avant les négociations qui le précédèrent de plusieurs jours. Clément VI n’avait cessé, depuis le commencement de la guerre, de chercher à concilier les deux rois. On trouve dans Robert d’Avesbury des lettres datées d’Avignon le 15 septembre 1347, par lesquelles il témoigne au roi d’Angleterre sa surprise du peu d’égard que ce prince a eu pour les ouvertures que lui avaient faites ses légats au mois de septembre précédent, et la réponse dans laquelle le monarque anglais tâche de se justifier de ce reproche, en protestant qu’il est prêt à faire la paix, sauf son droit à la couronne de France qu’il regarde comme son légitime héritage.

    Le continuateur de Nangis ne fait mention ni de l’entremise des légats, ni du défi de Philippe à Édouard. Ce fut au contraire, suivant lui, le monarque anglais qui envoya proposer au roi de France une trêve de trois jours, de laquelle il profita pour fortifier les endroits faibles de son camp.

  2. Les plénipotentiaires français étaient, selon la lettre d’Édouard, les ducs de Bourbon et d’Athènes, le chancelier de France, le sire d’Offemont et Geoffroy de Charny. Froissart est plus exact à l’égard de ceux des Anglais ; il n’oublie que Barthélémy de Burghersh, chambellan du roi.
  3. Philippe de Valois décampa le 2 août avant le jour.