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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

nous les déconfirons, et recouvrerons nos dommages et nos gens. »

Ce conseil fut cru ; et s’armèrent, et dirent que de rechef ils s’aventureroient. Si se départirent ceux qui à cheval étoient tous premiers et ceux à pied les suivoient ; et s’en vinrent, environ soleil levant, férir en l’ost messire Charles, qui se dormoient et reposoient[1], et ne cuidoient avoir plus de destourbier. Ces Bretons et ces Anglois du côté de la comtesse se commencèrent à hâter et à abattre tentes et trefs et pavillons, et occire et découper gens, et à mettre en grand’meschef ; et furent si surpris, car ils ne faisoient point de guet, que oncques ils ne se purent aider. Là eut grand’déconfiture sur les gens messire Charles de Blois, et morts plus de deux cents chevaliers[2] et bien quatre mille d’autres gens, et pris le dit messire Charles de Blois[3] et tous les barons de Bretagne et de Normandie qui avec lui étoient, et rescous messire Thomas d’Angourne[4] et tous leurs compagnons. Oncques si belle aventure n’avint à gens d’armes, que il avint là aux Anglois et aux Bretons, que de déconfire sur une matinée tant de nobles gens. On leur doit bien tourner à grand’prouesse et à grand’appertise d’armes. Ainsi fut pris messire Charles de Blois des gens du roi d’Angleterre et de la comtesse de Montfort, et toute la fleur de son pays avec lui[5], et fut amené au châtel de Hainnebon, et le siége levé de la Roche-Derien. Là fut la guerre de la comtesse de Montfort grandement embellie : mais toujours se tinrent les villes, les cités et les forteresses de messire Charles de Blois : car madame sa femme, qui s’appeloit duchesse de Bretagne, prit la guerre de grand’volonté. Ainsi fut la guerre en Bretagne de ces deux dames. Vous devez savoir que quand ces nouvelles vinrent devant Calais au roi d’Angleterre et aux barons, ils en furent grandement réjouis, et contèrent l’aventure à moult belle pour leurs gens. Or parlerons-nous du roi Philippe et de son conseil et du siége de Calais.


CHAPITRE CCCXV.


Comment le roi de France fit son mandement pour combattre le roi d’Angleterre : et comment les Flamands mirent le siége devant la ville d’Aire et ardirent le pays d’environ.


Le roi Philippe de France qui sentoit ses gens de Calais durement contraints et appressés selon ce qu’il étoit informé, et véoit que le roi d’Angleterre ne s’en partiroit point, si les auroit conquis, étoit grandement courroucé. Si s’avisa et dit qu’il les vouloit conforter, et le roi d’Angleterre combattre, et lever le siége, si il pouvoit. Si commanda par tout son royaume que tous chevaliers et écuyers fussent à la fête de la Pentecôte, en la cité d’Amiens ou là près[6]. Ce mandement et commandement du roi de France s’étendit par tout son royaume. Si n’osa nul laisser qu’il n’y vînt et fut là où mandé étoit, au jour de la Pentecôte, ou tantôt après. Et mêmement le roi y fut, et tint là sa cour solennelle, au dit jour, et moult de princes et de hauts barons de-lez lui ; car le royaume de France est si grand, et tant y a de bonne et noble chevalerie et écuyerie qu’il n’en peut être dégarni.

Là étoient le duc de Normandie son ains-né fils, le duc d’Orléans son mains-né fils, le duc Eudes de Bourgogne, le duc de Bourbon, le comte de Foix, messire Louis de Savoie, messire Jean de Hainaut, le comte d’Armignac, le comte de Forest, le comte de Valentinois, et tant de comtes et de barons, que merveilles seroit à recorder. Quand tous furent venus et assemblés à Amiens, et là en la marche, si eut le roi de France plusieurs consaulx, par quel côté il pourroit sus courir et combattre ses ennemis ; et eut volontiers vu que les pas de Flandre lui eussent été ouverts. Si eut envoyé du côté devers Gravelingnes une partie de ses gens, pour rafraîchir ceux de Calais, et pour combattre les Anglois de ce côté bien et aisé-

  1. D’Agworth dit au contraire qu’ils furent toute la nuit sous les armes.
  2. Suivant la lettre de d’Agworth, il y périt six ou sept cents hommes d’armes, tant chevaliers qu’écuyers.
  3. Il se rendit à Robert du Châtel, chevalier breton du parti de Montfort, qui le conduisit dans La Roche-Derien.
  4. D’Agworth fut nommé pair l’année suivante.
  5. Le combat de La Roche-Derien fut livré le 18 juin de cette année, 1347, suivant l’inscription sur le tombeau de Gui de Laval, dans l’église collégiale de Vitré ; mais la lettre de Thomas d’Agworth le fixe au 20 de ce mois, li serait difficile de découvrir de quel côté est l’erreur.
  6. Suivant les Chroniques de France, le roi partit de Paris dans la quinzaine de Pâques et s’en alla droit à Hesdin, où il avait indiqué le rendez-vous général de l’armée ; mais les troupes s’y rendirent avec si peu d’empressement qu’il ne put marcher vers Calais qu’à la mi-juillet.