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LIVRE I. — PARTIE I.

et de leur conseil, et le roi d’eux, lequel s’en retourna devant Calais. Ainsi demeurèrent les choses en cet état. Et se pourvéi et fit pourvoir le roi d’Angleterre, si grandement que merveilles seroit à recorder, pour tenir celle fête très étoffément, et aussi de beaux et riches joyaux pour donner et départir le jour des noces ; et la roine aussi, qui bien s’en vouloit acquitter et qui d’honneur et de largesses passa en son temps toutes dames.

Le jeune comte de Flandre, qui étoit revenu en son pays entre ses gens, alloit toujours en rivière, et montroit par semblant que ce mariage aux Anglois lui plaisoit très grandement ; et s’en tenoient les Flamands ainsi que pour tous assurés, et n’y avoit mais sur lui si grand regard comme paravant. Si ne connoissoient pas bien encore la condition de leur seigneur ; car quelque semblant qu’il montroit dehors, il avoit dedans le courage tout françois, ainsi qu’il le prouva par œuvres ; car un jour il étoit allé voler en rivière, et fut en la semaine qu’il devoit épouser la dessus dite damoiselle d’Angleterre, et jeta son fauconnier un faucon après le héron, et le comte aussi un. Si se mirent ces deux faucons en chasse et le comte après, ainsi que pour les loirrer en disant : « Hoie ! hoie ! » et quand il fut un petit eslongé, et que il eut l’avantage des champs, il férit cheval des éperons et s’en alla toujours avant, sans retourner, par telle manière que ses gardes le perdirent[1]. Si s’en vint le dit comte en Artois, et là fut assuré ; et puis vint en France devers le roi Philippe et les François, auxquels il conta ses aventures, et comment, par grand’subtilité, il étoit échappé de ses gens et des Anglois. Le roi de France en eut grand’joie et dit qu’il avoit trop bien ouvré, et autant en dirent les François ; et les Anglois d’autre part dirent qu’il les avoit trahis.

Mais pour ce ne laissa mie le roi d’Angleterre à tenir en amour les Flamands, car il savoit bien que le comte n’avoit pas ce fait par leur conseil, et en étoient moult courroucés, et l’excusance qu’ils en firent il crut assez légèrement.


CHAPITRE CCCXII.


Comment messire Robert de Namur vint au siége devant Calais et comment il devint homme du roi d’Angleterre.


En ce temps que le siége se tenoit devant Calais, venoient voir le roi et la roine plusieurs barons et chevaliers de Flandre, de Brabant, de Hainaut et d’Allemaigne ; et ne s’en partoit nul sans grand profit, car le roi et la roine d’honneur et de largesses étoient si pleins et si affaités, que tout ils donnoient ; et par celle vertu acquirent eux la grâce et la renommée de toute honneur. En ce temps étoit nouvellement revenu en la comté de Namur, du voyage de Prusse et du Saint-Sépulchre, ce gentil et vaillant chevalier messire Robert de Namur ; et l’avoit fait le sire de Spontin chevalier en la sainte terre. Messire Robert pour ce temps étoit moult jeune et n’avoit encore été prié de l’un roi ni de l’autre : toutefois il étoit plus enclin assez à être Anglois que François, pour l’amour de messire Robert d’Artois son oncle que le roi d’Angleterre avoit moult aimé. Si s’avisa qu’il viendroit devant Calais voir le roi et la roine d’Angleterre et les seigneurs qui là étoient. Si s’ordonna selon ce, et mit en bon arroy et riche, ainsi comme à lui appartenoit et que toudis il alloit par le chemin. Si exploita tant par ses journées, qu’il vint au siége de Calais, honorablement accompagné de chevaliers et d’écuyers, et se présenta au roi, qui liement le reçut, et aussi fit madame la roine. Si entra grandement en leur amour et en leur grâce, pour cause de ce que il portoit le nom de messire Robert son oncle, que jadis avoient tant aimé, et auquel ils avoient trouvé grand conseil. Si devint le dit messire Robert de Namur homme féodal au roi d’Angleterre, et lui donna le dit roi trois cents livres à l’esterlin de pension par an, et lui assigna sur ses coffres et à être payés à Bruges. Depuis se tint le dit messire Robert de-lez le roi et la roine, au siége devant Calais, tant que la ville fut gagnée, ainsi comme vous orrez en avant recorder.


CHAPITRE CCCXIII.


Comment ceux de la Roche-Derien se tournèrent Anglois ; et comment messire Charles de Blois atout grand’foison de gens d’armes y mit le siége.


Je me suis longuement tenu de parler de monseigneur Charles de Blois, duc de Bretagne pour

  1. Le comte de Flandre s’évada le 5 des calendes d’avril, c’est-à-dire le 28 mars, selon Meyer, le mardi des fêtes de Pâques, 3 d’avril, suivant les Chroniques de France.