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LIVRE I. — PARTIE I.


CHAPITRE CCCX.


Comment le commun de Flandre s’accorda au mariage du comte de Flandre et de la fille du roi d’Angleterre ; et le roi de France voulut qu’il eût la fille du duc de Brabant.


Tout cel hiver demeura le roi d’Angleterre à siége à tout son ost devant la forte ville de Calais, et y avinrent grand’foison de merveilleuses aventures, d’une part et d’autre, et presque chacun jour. Et toujours, ce siége pendant, avoit le dit roi grand’imagination de tenir les communautés de Flandre en amitié ; car avis lui étoit que parmi eux il pouvoit le plus aise venir à son entente. Si envoyoit souvent par devers eux grands promesses ; et leur disoit, et faisoit dire, que si il pouvoit venir à son entente de Calais, il leur recouvreroit sans doute Lille et Douay et les appendances ; si que par telles promesses les Flamands s’émurent en ce temps, sur la saison que le roi d’Angleterre étoit encore en Normandie, duquel voyage il vint à Crécy et à Calais, et vinrent mettre le siége devant Béthune. Et étoit pour le temps leur capitaine messire Oudart de Renti, car il étoit banni de France ; et tinrent un moult grand siége devant la dite ville, et moult la contraignirent par assauts. Mais il y avoit dedans en garnison, de par le roi de France, quatre bons chevaliers, qui très bien la gardèrent et en pensèrent : messire Geffroi de Chargny, messire Eustache de Ribaumont, messire Baudoin Dennekin, et messire Jean de Landas. Si fut la dite ville de Béthune si bien défendue et parsoignée que les Flamands n’y conquêtèrent rien, mais s’en retournèrent en Flandre, sans rien faire. Néanmoins, quand le roi d’Angleterre fut venu devant Calais, il ne cessa mie d’envoyer devers les communautés de Flandre grands messages, et de faire grands promesses pour détenir leur amitié et abattre l’opinion du roi Philippe, qui trop fort les pressoit d’eux retraire à son amour. Et volontiers eut le roi d’Angleterre vu que le jeune comte Louis de Flandre[1], qui point n’avoit quinze ans d’âge, eût voulut sa fille Isabelle épouser. Et tant procura le dit roi, que le dit commun de Flandre s’y accorda entièrement : dont le roi d’Angleterre fut moult réjoui, car il lui sembloit que, parmi ce mariage et ce moyen, il s’aideroit des Flamands plus pleinement ; et aussi il sembloit aux Flamands que, si ils avoient le roi d’Angleterre et les Anglois d’accord, ils pourroient bien résister aux François ; et plus étoit nécessaire l’amour du roi d’Angleterre et plus profitable que du roi de France. Mais leur sire, qui avoit été nourri entre les royaux de France, et encore y demeuroit, ne s’y vouloit point accorder, et disoit franchement que jà n’auroit à femme la fille de celui qui avoit occis son père. D’autre part, le duc Jean de Brabant pourchassoit adonc fortement que ce jeune comte de Flandre voulût prendre sa fille à femme ; et lui promettoit qu’il le feroit jouir pleinement de la comté de Flandre, par amour ou autrement ; et faisoit le dit duc entendant au roi de France que, si ce mariage de sa fille se faisoit, il feroit tant que tous les Flamands seroient de son accord et contraires au roi d’Angleterre. De quoi par telles promesses le roi Philippe s’accorda au mariage de Brabant.

Quand le duc de Brabant eut l’accord du roi de France, il envoya tantôt grands messages en Flandre devers les plus suffisans bourgeois des bonnes villes, et leur fit dire et démontrer tant de belles raisons colorées que les consaulx des bonnes villes mandèrent le jeune comte leur seigneur, et lui firent dire et savoir qu’il voulsist venir en Flandre et user par leur conseil, et ils seroient ses bons et loyaux subgiets, et lui rendroient et délivreroient toutes ses justices et juridictions et les droitures de Flandre, ainsi ou plus avant que oncques nul comte n’avoit.

Le jeune comte eut conseil que il l’essaieroit : si vint en Flandre[2] et y fut reçu à grand’joie, et lui furent présentés de par les bonnes villes grands dons et beaux présens. Si très tôt que le roi d’Angleterre sçut ces nouvelles, il envoya en Flandre le comte de Norhanton, le comte d’Arondel et le seigneur de Cobehen, lesquels parlementèrent tant et pourchassèrent aux communautés de Flandre, qu’il eurent plus cher que leur sire prît à femme la fille du roi d’Angleterre que la fille du duc de Brabant ; et prièrent affectueusement leur jeune seigneur, et lui démontrèrent plusieurs belles raisons pour lui attraire, que merveilles seroit à recorder ; et

  1. Louis, dit de Male du lieu de sa naissance, devenu comte de Flandre par la mort de Louis son père, tué à la bataille de Crécy.
  2. Le comte se rendit en Flandre vers le commencement de novembre de cette année 1346, suivant Meyer.