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LIVRE I. — PARTIE I.

rine ; et puis revinrent à leur grand ost qui étoit logé à une journée de Neuf-Châtel sur Tyne.


CHAPITRE CCCVI.


Comment les Escots et les Anglois se combattirent moult durement et comment finalement les Escots furent déconfits et y fut le roi d’Escosse pris par un écuyer.


La roine d’Angleterre, qui désiroit à défendre son pays et garder de tous encombriers, pour mieux montrer que la besogne étoit sienne, s’en vint jusques en la bonne ville de Neuf-Chàtel sur Tyne ; et là se logea et attendit toutes ses gens. Avec la bonne dame vinrent en la dite ville l’arcbevêque d’Iorch, l’archevêque de Cantorbie, l’évêque de Durem et l’évêque de Lincole ; et aussi le sire de Percy, le sire de Ros, le sire de Moutbray et le sire de Neufville ; et se logèrent ces quatre prélats et ces barons dedans la ville, et la plus grand’partie de leurs gens. Et toudis leur venoient gens des marches du north et du pays de Northonbrelande et de Galles, qui marchissent assez près de là ; car chacun, à qui signifié étoit, se pénoit de venir contre les Escots, tant pour l’amour de la bonne roine leur dame qui les prioit si doucement, comme pour garder leur pays à pouvoir de tout vilain destourbier.

Le roi d’Escosse et ses gens, qui efforcément étoient en Angleterre entrés, entendirent de vérité que les Anglois s’assembloient en la ville de Neuf-Châtel pour venir contre eux : si en furent grandement réjouis ; et se trairent tous de celle part, et envoyèrent leurs coureurs courir devant la ville ; et ardirent ceux qui envoyés y étoient aucuns hamelets, à leur retour, qui là étoient, tant que les flamèches et les fumières en avolèrent jusques en la ville de Neuf-Châtel, et que les Anglois se retenoient à grand malaise et vouloient issir hors soudainement sur ceux qui tels outrages faisoient : mais leurs souverains ne les laissèrent.

Lendemain le roi d’Escosse et tout son ost, où bien avoit quarante mille hommes, uns et autres, s’en vinrent loger à trois petites lieues anglesches de Neuf-Châtel, sur la rivière de Tyne, en la terre du seigneur de Neufville ; et mandèrent, ainsi comme par présomption grand’, à ceux qui dedans le châtel étoient, que si ils vouloient issir hors, que ils les attendroient et les combattroient volontiers. Les prélats et les barons d’Angleterre furent avisés de répondre, et dirent que oil, et que ils aventureroient leurs vies avec l’héritage de leur seigneur le roi d’Angleterre. Si se trairent tous sur les champs, et se trouvèrent environ douze cents hommes d’armes, trois mille archers et cinq mille autres hommes parmi les Gallois. Les Escots qui bien savoient leur puissance, les prisoient moult petit, et disoient que si ils avoient quatre tels tant de gens, si seroient-ils combattus ; et se rangèrent un jour sur les champs devant eux et se mirent en ordonnance de bataille, et les Anglois aussi d’autre part. Quand la bonne dame la roine d’Angleterre entendit que ses gens se devoient combattre et que l’affaire étoit si approchée que les Escots tous ordonnés étoient sur les champs devant, elle se partit de la ville de Neuf-Châtel et s’en vint là où ses gens se tenoient, qui se rangeoient et ordonnoient pour mettre en arroy de bataille. Si fut là tant la dite roine que ses gens furent tous ordonnés et mis en quatre batailles. La première gouvernoient l’évêque de Durem et le sire de Percy ; la seconde l’archevêque d’Iorch et le sire de Neufville, la tierce l’évêque de Lincole et le sire de Moutbray ; la quatrième messire Édouard de Bailleul, gouverneur de Bervich et l’archevêque de Cantorbie. Si y eut en chacune des dites batailles sa droite portion de gens d’armes et d’archers, selon leur aisement. Et là étoit la bonne roine d’Angleterre en my eux[1], qui leur prioit et ammonestoit de bien faire la besogne, et de garder l’honneur de son seigneur le roi et de son royaume d’Angleterre, et que pour Dieu chacun se prît d’être bien combattant ; et par espécial elle recommandoît toute la besogne en la garde des quatre barons qui là étoient et des quatre prélats. Cils, qui nullement pour leur honneur ne se fussent feints, eurent en couvent à la bonne dame qu’ils s’en acquitteroient loyalement selon leur pouvoir, autant ou mieux que si le roi leur sire y fût personnellement. Lors

  1. Lord Hayles (Annales d’Écosse) doute de la présence de la reine à cette bataille, parce qu’elle n’est attestée que par Froissart. Si l’on rejetait tous les faits importans, pour lesquels on n’a que le témoignage de cet historien consciencieux, il resterait peu de faits intéressans dans l’histoire curieuse de ces longs débats. D’ailleurs l’exemple donné par la reine n’était qu’une répétition de celui donné par la belle comtesse de Montfort en Bretagne.