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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

cord que, au plus hâtivement qu’ils pourroient, et le plus efforcément aussi, ils entreroient en Angleterre, du côté devers Rosebourg, si forts et si bien pourvus que pour combattre la puissance de tout le remenant d’Angleterre, qui pour lors étoit au pays.

En tel accord furent avec le roi tous les barons, les prélats, les chevaliers et les écuyers du royaume d’Escosse, où plus eut de cinquante mille combattans, que uns que autres ; et firent leur assemblée tout coiement, pour plus gréver les ennemis ; et fut adonc prié et mandé Jean des Adult-isles, qui gouvernoit les sauvages Escots, et qui obéissoient à lui et non à autre, que il voulsist être en leur armée et compagnie. Il s’y accorda légèrement et y vint à trois mille hommes, tous des plus outrageux de son pays.

Oncques le roi d’Escosse ni les barons de son royaume ne sçurent si secrètement faire leur mandement ni leur assemblée, que madame la roine Philippe d’Angleterre, qui se tenoit au nord sur les marches d’Evruich, n’en fut toute informée, et quelle n’y pourvut de remède et de conseil. Sitôt que la très bonne dame sçut ce, elle fut toute conseillée d’écrire et de prier ses amis et mander tous ceux qui tenoient du roi d’Angleterre son seigneur ; et s’en vint la bonne dame, pour mieux montrer que la besogne étoit sienne, tenir en la cité d’Iorch, que l’on dit Evruich, en la contrée de Northonbrelande.

Quand le roi d’Angleterre passa outre, étoient demeurés le sire de Percy, le sire de Ros, le sire de Neufville et le sire de Moutbray, quatre grands barons, pour aider à garder le pays, si il convenoit : si furent tantôt ces seigneurs pourvus et avisés, quand ils sçurent le mouvement des Escots, et s’en vinrent à Evruich devers leur dame, qui les reçut à grand’joie. Au mandement de la vaillant dame, qui s’étendit jusques à Londres et outre, s’émut grand’foison de bonnes gens d’armes et d’archers, qui étoient encore au pays ; et se prit chacun du plus près qu’il put pour être à celle journée contre les Escots ; car telle étoit l’intention de la dite roine et la teneur de son mandement, que les Escots seroient combattus, et que chacun, pour son honneur, se hâtât le plus tôt qu’il pût et s’en venist devers Neuf-Châtel sur Tyne, là où le mandement se faisoit.


CHAPITRE CCCV.


Comment le roi d’Escosse entra en Angleterre ardant et détruisant le pays jusques à la cité de Bervich.


Entrementes que la roine d’Angleterre faisoit son assemblée, les Escots, qui étoient tous pourvus de leur fait, se partirent de Saint-Jean, en grand arroy et à grand’route, et s’en vinrent ce premier jour à Donfremelin ; et lendemain passèrent un petit bras de mer qui là est[1] ; et le roi s’en vint à Strumelin. Là passa-t-il à l’étroit l’eau, et le second jour il vint à Haindebourc. Là se recueillirent et rassemblèrent tous les Escots. Si étoient trois mille armures de fer, chevaliers et écuyers, et bien trente mille d’autres gens, et tous montés sur haquenées ; car nul ne va à pied en Escosse, mais tous à cheval. Si exploitèrent tant qu’ils vinrent, à Rosebourc, la première forteresse d’Angleterre à ce côté, de laquelle messire Guillaume de Montagu avoit la garde et le gouvernement, et jadis l’avoit bâtie contre les Escots. Le château de Rosebourc est durement beau et fort, ni ne fait mie à prendre si légèrement. Si passèrent les Escots outre et point n’y assaillirent, et s’en vinrent loger entre Persi et Vitol, sur une rivière qui là est ; et commencèrent à détruire et ardoir la contrée de Northonbrelande[2] moult vilainement et coururent, leurs coureurs jusques à Bervich, et ardirent tout ce qui dehors les murs étoit et tout contreval la ma-

  1. C’est ce qu’on appelle le Queen’s Ferry.
  2. Les récits de cette expédition des Écossais sont fort succincts dans Th. Otterbourne, dans Jean de Fordun, dans la scala chronica et dans Robert d’Avesbury. Leur témoignage ajoute toutefois à l’autorité de Froissart et prouve qu’il écrivait d’après d’excellens matériaux. J. de Fordun met cette expédition au mois d’octobre 1346. La scala chronica et les autres historiens se contentent de dire : à la fin de l’été. R. d’Avesbury et la scala chronica tracent aussi à peu près de la même manière que Froissart la marche de l’armée envahissante ; ils font prendre par le corps d’armée le fort de Lyddale, tandis qu’une autre partie se porte, en suivant la route de Roxburgh, sur Newcastle et sur Berwick. Persy et Vitol, désignés par Froissart, sont sans doute Percy’s Cross et Witton ou Long Witton. La rivière, qui n’est pas nommée, est probablement le Coquet placé entre ces deux endroits. Johnes, dans sa traduction, dit Précy et Lincoln ; il croit que la rivière est l’Irrthing qui se jette dans le Solway-Forth près de Carlisle et les deux villes de Lidel et Lauercrost. La scala chronica appuie ce témoignage en disant que les Écossais entrèrent par le Cairluel shire (comté de Carlisle).