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LIVRE I. — PARTIE I.

eussent encore été faites, si il ne fût allé au devant ; mais il défendit sur la hart, que nul ne boutât feu en église ni en maison qui y fût ; car il se vouloit là tenir et reposer dix ou douze jours. Nul n’osa son commandement briser : si furent cessés en partie les maux à faire ; mais encore en fit-on assez de larcins, qui point ne vinrent à connoissance.


CHAPITRE CCCIII.


Comment le comte Derby se partit de Poitiers atout grand avoir et s’en vint à Saint-Jean-d’Angely ; et puis monta sur mer pour venir devant Calais.


Ainsi prit et conquit le comte Derby, le roi d’Angleterre séant devant Calais, la cité de Poitiers, et la tint douze jours[1] ; et plus l’eût encore tenue, s’il eût voulu ; car nul ne lui venoit calenger ; mais trembloit tout le pays jusques à la rivière de Loire devant les Anglois. Quand ils eurent couru tout le pays d’environ et robé, et que rien n’étoit demeuré dehors les forts et les grands garnisons, le comte Derby eut conseil qu’il se retrairoit et laisseroit Poitiers tout vague, car elle n’étoit mie tenable, tant étoit de grand’garde. Si s’ordonnèrent les Anglois de partir ; mais à leur département ils prirent tout l’avoir de la cité que trouvé avoient, et si chargés en étoient qu’ils ne faisoient compte de draps, fors d’or et d’argent et de pennes. Si s’en retournèrent à Saint-Jean-d’Angely à petites journées. Là fut le comte Derby des bourgeois et des dames de la ville reçu à grand’joie et à haute honneur. Si se reposèrent le comte Derby et ses gens, et rafraîchirent en la dite ville de Saint-Jean-d’Angely une espace de temps. En ce séjour le dit comte acquit grand’gràce et grand amour des bourgeois, des dames et des damoiselles de la ville, car il leur donna et départit largement grands dons et beaux joyaux ; et fit tant qu’ils disoient communément que c’étoit le plus noble prince qui pût chevaucher sur palefroy ; et donnoit aux dames et aux damoiselles presque tous les jours le dit comte dîners et soupers grands et beaux, et les tenoit toudis en revel. Quand il eut là séjourné tant que bon lui sembla, il s’ordonna de partir, et toutes ses gens, et prit congé aux bourgeois et aux dames de la ville, et leur commanda la ville à garder ; et fit au dit maire et aux plus riches bourgeois de la ville renouveler leurs sermens, qu’ils tiendroient et garderoient la ville bien et suffisamment, ainsi comme le bon héritage du roi d’Angleterre ; et lui eurent ainsi en convenant.

Adonc s’en partit le comte atout son arroy, et chevaucha à petites journées devers la bonne cité de Bordeaux, par les forteresses que conquises avoit ; et fit tant qu’il y vint, et là donna congé à toutes gens d’armes, garçons et autres, et les remercia grandement de leur bon service. Assez tôt après il s’ordonna pour monter en mer, et venir devant Calais voire le roi d’Angleterre son seigneur[2]. Or nous souffrirons-nous à parler de lui, et parlerons du roi d’Escosse.


CHAPITRE CCCIV.


Comment le roi d’Escosse fit secrètement son mandement pour faire guerre aux Anglois ; et comment la roine d’Angleterre fit son mandement d’autre part pour résister aus Escots.


Je me suis longuement tenu de parler du roi David d’Escosse : mais jusques à maintenant je n’ai eu nulle cause d’en parler, car, si comme ci-dessus est contenu, les trêves qu’ils prirent et donnèrent par accord l’un à l’autre furent bien tenues, sans enfreindre ni briser de l’une des parties. Or avint que quand le roi d’Angleterre eut assiégé la forte ville de Calais, les Escots s’avisèrent qu’ils feroient guerre aux Anglois, et contrevengeroient les grands ennuis qu’ils leur avoient faits, car leur pays étoit tout vuit de gens d’armes, pour ce que le roi en tenoit foison devant Calais ; et si en avoit aussi grand plenté en Bretagne, en Poitou et en Gascogne. À cette guerre et émouvement adonc rendit grand’peine le roi Philippe de France, qui avoit grands alliances au roi d’Escosse ; car il vouloit, s’il pouvoit, si ensonnier les Anglois, que le roi d’Angleterre brisât son siége de devant Calais et s’en retournât en Angleterre. Si fit le roi d’Escosse son mandement tout secrètement à être en la ville de Saint-Jean sur Tay[3] en Escosse. Si vinrent là tenir leurs parlemens les comtes, les prélats et les barons d’Escosse ; et furent tous d’un ac-

  1. Le comte de Derby dit dans sa lettre qu’il resta environ huit jours à Poitiers.
  2. Il est possible que le comte de Derby eût alors, comme le dit Froissart, le projet de se rendre à Calais ; mais il paraît, par le récit de Robert d’Avesbury, qu’il alla directement de Guyenne en Angleterre, et qu’il arriva à Londres le jour de Saint-Hilaire, 14 janvier 1347.
  3. Perth.