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LIVRE I. — PARTIE I.

feroit une chevauchée en Poitou. Si fit son mandement de tous les barons, les chevaliers et écuyers de Gascogne, qui pour Anglois se tenoient et leur assigna journée à être à Bordeaux.

À la semonce et mandement du dit comte vinrent le sire de Labret, le sire de l’Espare, le sire de Rosem, le sire de Mucident, le sire de Pommiers, le sire de Curton, le sire de Languerem, messire Aymon de Tarste, et plusieurs autres. Et fit tant le comte Derby qu’ils furent bien douze cents hommes d’armes, deux mille archers et trois mille piétons. Si passèrent toutes ces gens d’armes et leurs routes la rivière de Garonne, entre Bordeaux et Blayes. Quand ils furent tous outre, ils prirent le chemin de Xaintonge et chevauchèrent tant qu’ils vinrent à Mirabel[1]. Si assaillirent la ville, sitôt qu’ils furent venus, et la prirent par force, et aussi le château, et y mirent gens de par eux ; et puis chevauchèrent devers Aunay. Si conquirent la ville et le châtel, et puis Surgères[2] et Benon : mais au châtel de Marant, à quatre lieues de la Rochelle, ne purent-ils rien forfaire ; et vinrent à Mortaigne-sur-Mer en Poitou : et là eut grand assaut, et la prirent, et y mirent et laissèrent gens en garnison, de par eux ; et puis chevauchèrent vers Lusignen. Si ardirent la ville ; mais au châtel ne purent-ils rien forfaire[3]. En après ils vinrent à Taillebourc, sur la rivière de Charente. Si conquirent le pont, la ville et le château, et occirent tous ceux qui dedans étoient, pourtant que, en eux assaillant, ils leur avoient occis un chevalier des leurs, appert homme d’armes durement ; et puis passèrent outre pour venir devant la ville de Saint-Jean-d’Angely[4]. Et sachez que tout le pays étoit si effrayé de la venue du comte Derby et des Anglois, que nul n’avoit contenance ni arroy en soi-même, mais fuyoient devant eux et s’enclouoient dedans les bonnes villes, et laissoient tous vagues hôtels et maisons ; et n’y avoit autre apparence de défense ; mêmement les chevaliers et écuyers de Poitou et de Xaintonge se tenoient en leurs forts et en leurs garnisons, et ne montroient aucun semblant de combattre les Anglois.


CHAPITRE CCCII.


Comment ceux de Saint-Jean-d’Angely se rendirent au comte Derby ; et comment il prit le bourg de Saint-Maximin et la cité de Poitiers.


Tant exploitèrent le comte Derby et ses routes qu’ils vinrent devant la bonne ville de Saint-Jean-d’Angely. Si s’ordonnèrent tous à y mettre le siége. À ce jour que les Anglois y vinrent, il n’y avoit dedans nuls gens d’armes, chevaliers et écuyers, pour aider à garder la ville et conseiller les bourgeois, qui n’étoient mie bons coutumiers de guerroyer. Si furent durement effrayés quand ils virent tant d’Anglois devant leur ville, et qui leur livrèrent de première venue un très grand assaut ; et doutèrent à perdre corps et biens, femmes et enfans ; car il ne leur apparoît secours ni confort de nul côté ; si eurent plus cher à traiter devers les Anglois que plus grand mal leur survînt. Après cet assaut que les Anglois firent devant Saint-Jean-d’Angely, et qu’ils se furent retraits en leur logis pour eux reposer celle nuit, et avoient bien intention d’assaillir lendemain, le maire de la ville, qui s’appeloit sire Guillaume de Riom, par le conseil de la plus saine partie de la ville, envoya devers le comte Derby pour avoir un sauf-conduit pour six de leurs bourgeois, allans et venans, qui devoient porter ce traité. Le gentil comte Derby leur accorda légèrement, à durer celle nuit et lendemain tout le jour. Quand vint au matin à heure de prime, les dits bourgeois de Saint-Jean vinrent au pavillon du comte et parlèrent à lui, quand il eut ouï messe. Et me

    de ses troupes, vers la fin du siége d’Aiguillon ; 2o il n’attendit point pour réunir ses forces que ce siége fût levé : elles étaient rassemblées plusieurs jours auparavant ; 3o ce fut aux environs de Bergerac et non à Bordeaux qu’il indiqua le rendez-vous de l’armée ; 4o avant d’aller en Saintonge il se rendit en Agénois, rafraîchit de troupes Villeréal, Tonneins et Aiguillon, et retourna à la Réole. Il y divisa son armée en trois corps, dont il en laissa deux pour la sûreté du pays, et entra le 12 septembre en Saintonge avec le troisième composé de mille hommes d’armes.

  1. Mirebeau, capitale du petit pays de Mirebalais en Poitou.
  2. Bourg du pays d’Aunis, à six lieues de La Rochelle. Benon en est à peu près à la même distance.
  3. Le comte de Derby dit positivement que le château lui fut rendu après qu’il se fut emparé de la ville. Cet événement doit être arrivé peu de jours après la fête de saint Michel.
  4. Suivant la lettre que nous venons de citer, l’armée anglaise s’empara de Saint-Jean-d’Angély ayant d’aller à Lusignan.