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LIVRE I. — PARTIE I.

furent ceux de la ville de Poix durement envahis et presque tous morts, et la ville arse, et les deux châteaux abattus ; et puis retournèrent arrière devers l’ost du roi qui étoit venu à Airaines, et avoit commandé toutes manières de gens à loger, et de point passer avant, et défendu sur la hart que nul ne forfît rien à la ville, d’arsure ni d’autre chose, car il se vouloit là tenir un jour ou deux, et avoir avis et conseil par quel pas il pourroit la rivière de Somme passer mieux à son aise ; et lui besognoit bien qu’il y pensât, si comme vous orrez recorder,


CHAPITRE CCLXXVI.


Comment le roi de France se partit à grand’baronie de Saint-Denis, en poursuivant le roi d’Angleterre ; et comment le roi d’Angleterre envoya ses maréchaux jour trouver passage sur la rivière de Somme.


Or vueil je retourner au roi Philippe de France, qui étoit à Saint-Denis, et ses gens là environ ; et tous les jours lui croissoient et venoient gens de tous côtés ; et tant en avoit que sans nombre. Si étoit le dit roi parti de Saint-Denis à grand’baronie, en intention de trouver le roi d’Angleterre et de combattre à lui, car moult en avoit grand désir, pour contrevenger l’arsure de son royaume et la grand’destruction que les Anglois y avoient faite. Si chevaucha tant le dit roi de France par ses journées qu’il vint à Coppegny l’Esquissé, à trois lieues près de la cité d’Amiens ; et là s’arrêta pour attendre ses gens qui venoient de toutes parts, et pour apprendre le convenant des Anglois.

Or parlerons du roi d’Angleterre qui étoit arrêté à Airaines, si comme vous avez ouï, et avoit moult bien entendu que le roi de France le suivoit ; et si ne savoit encore là où il pourroit passer la rivière de Somme, qui est grande, large et parfonde ; et si étoient tous les ponts défaits, ou si bien gardés de bonnes gens d’armes que la rivière étoit impossible à passer. Si appela le roi ses deux maréchaux, le comte de Warvich et messire Geoffroy de Harecourt, et leur dit qu’il prissent mille hommes d’armes et deux mille archers et s’en allassent tâtant et regardant selon la rivière de Somme, si ils pourroient trouver passage où ils pussent passer sauvement.

Si se partirent les deux maréchaux dessus dits, bien accompagnés de gens d’armes et d’archers ; et passèrent parmi Long-Pré ; et vinrent au Pont-à-Remy ; et le trouvèrent bien garni de grand’foison de chevaliers et d’écuyers et de gens du pays, qui là étoient assemblés, pour le passage garder et défendre. Si vinrent là les Anglois, et se mirent en bon convenant à pied, pour les François assaillir ; et y eut grand assaut et très fort et qui dura du matin jusques à prime : mais le dit pont et la défense étoient si bien bastillés, et furent si bien défendus, que oncques les Anglois n’y purent rien conquerre ; ainçois s’en partirent, sans rien faire ; et chevauchèrent autre part et vinrent jusques à une grosse ville que on appelle Fontaine-sur-Somme. Si l’ardirent toute et robèrent, car elle n’étoit point fermée ; et puis vinrent à une autre ville que on clame Long-en-Ponthieu. Si ne purent gagner le pont, car il étoit bien garni, et fut bien défendu : si s’en partirent et chevauchèrent devers Pequigny, et trouvèrent la ville et le pont et le châtel bien garnis, parquoi jamais ne les eussent gagnés ni pris. Ainsi avoit fait le roi de France pourvoir et garnir les détroits et les passages sur la rivière de Somme, afin que le roi d’Angleterre ni son ost ne pussent passer ; car il les vouloit combattre à sa volonté, ou affamer par deçà la rivière de Somme.


CHAPITRE CCLXXVII.


Comment les maréchaux du roi d’Angleterre lui dirent qu’ils ne trouvoient point de passage ; et comment le roi de France envoya messire Godemar du Fay pour garder le passage de Blanche-Tache.


Quand les deux maréchaux du roi d’Angleterre eurent ainsi un jour entier tâté, chevauché et costié la rivière de Somme, et ils virent que de nul côté ils ne trouveroient point de passage, si retournèrent arrière à Airaines, devers le roi leur seigneur, et lui recordèrent leur chevauchée et tout ce qu’ils avoient trouvé. Ce même jour vint le roi de France gésir à Amiens à plus de cent mille hommes, et étoit le pays d’environ tout couvert de gens d’armes. Quand le roi d’Angleterre eut ouï la relation de ses deux maréchaux, si n’en fut mie plus lie ni moins pensif ; et commença fort à muser et soi merencolier ; et commanda que lendemain au plus matin ils fussent tous parmi son ost appareillés, et que on suivît les bannières des maréchaux. Le commandement du roi fut