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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

avoient fait cet outrage, outre sa défense, le comparroient chèrement ; car le roi avoit défendu, sur la hart, que nul ne violât église, ni boutât feu en abbaye, ni en moûtier. Si en fit prendre vingt de ceux qui le feu y avoient bouté, et les fit tantôt et sans délai pendre, afin que les autres y prissent exemple.


CHAPITRE CCLXXV.


Comment les maréchaux du roi d’Angleterre ardirent les faubourgs de Beauvais ; et comment le roi d’Angleterre prit Argies et le châtel de Poix.


Après que le roi d’Angleterre se fut parti de Saint-Lucien, il chevaucha avant au pays de Beauvoisin, et passa outre par de-lez la cité de Beauvais, et n’y voulut point assaillir, arrêter ni assiéger ; car il ne vouloit mie travailler ses gens ni allouer son artillerie sans raison ; et s’en vint ce jour loger de haute heure en une ville qu’on appelle Milly[1] en Beauvoisin. Les deux maréchaux de l’ost passèrent si près de la cité de Beauvais et des faubourgs qu’ils ne se purent tenir qu’ils n’allassent assaillir et escarmoucher à ceux des barrières[2] ; et partirent leurs gens en trois batailles, et assaillirent à trois portes, et dura cet assaut jusques à remontée : mais petit y gagnèrent, car la cité de Beauvais est forte et bien fermée et étoit adonc gardée de bonnes gens d’armes et de bons arbalétriers ; et si y étoit l’évêque, dont la besogne valoit mieux. Quand les Anglois aperçurent qu’ils n’y pouvoient rien conquêter, ils s’en partirent ; mais ils ardirent tous les faubourgs rez à rez des portes ; et puis vinrent au soir là où le roi étoit logé.

Lendemain le roi et tout son ost se délogèrent et chevauchèrent parmi le pays, ardant et exillant tout derrière eux ; et s’en vinrent loger en un gros village que on appelle Grandvilliers. Lendemain le roi se délogea et passa par devant Argies. Si ne trouvèrent les coureurs personne qui gardât le châtel ; si l’assaillirent et prirent à peu de fait, et l’ardirent et puis passèrent outre, ardant et exillant tout le pays d’environ ; et vinrent ainsi jusques au châtel de Poix, là où ils trouvèrent bonne ville et deux châteaux. Mais nul des seigneurs n’y étoit, fors deux belles damoiselles, filles au seigneur de Poix, qui tantôt eussent été violées, si n’eussent été deux gentils chevaliers d’Angleterre qui les en défendirent et les menèrent au roi pour elles garder ; ce furent messire Jean Chandos, et le sire de Basset, lequel roi, pour honneur et gentillesse, leur fit bonne chère et liée, et les recueillit doucement et leur demanda où elles voudroient être. Elles répondirent : « À Gorbie. » Là les fit le roi mener et conduire sans péril. Si se logea le roi celle nuit en la dite ville de Poix[3] et ses gens là environs où ils purent.

Cette nuit parlementèrent les bons hommes de Poix et ceux des châteaux aux maréchaux de l’ost, à eux sauver et non ardoir ; et se rançonnèrent, parmi une somme de florins qu’ils durent payer lendemain, mais que le roi fût parti. Quand ce vint le matin, le roi se délogea et se mit à chemin à tout son ost, et demeurèrent aucuns de par les maréchaux pour attendre cet argent que on leur devoit délivrer. Quand ceux de la ville de Poix furent assemblés, et ils virent que le roi et tout l’ost étoient partis, et que les demeurés derrière n’étoient qu’un petit de gens, ils refusèrent à payer, et dirent qu’ils ne paieroient rien, et leur coururent sus pour occire. Ces Anglois se mirent à défense et envoyèrent après l’ost querre secours. Ceux qui chevauchèrent devers l’ost exploitèrent et firent tant qu’ils trouvèrent l’arrière-garde, dont messire Regnault de Cobehen et messire Thomas de Hollande étoient conduiseurs : si les retournèrent, et estourmirent l’ost en écriant : « Trahi, trahi ! » Et retournèrent vers Poix ceux qui les nouvelles en entendirent ; et trouvèrent leurs compagnons qui encore se combattoient à ceux de la ville. Si

  1. Bourg situé sur la rivière du Terain.
  2. Michel de Northburgh, clerc, conseiller du roi d’Angleterre, dans une lettre que nous rapporterons ci-après où il rend compte de ce qui se passa depuis le départ de l’armée anglaise de Poissy jusqu’à son arrivée devant Calais, ne parle ni de l’attaque des faubourgs de Beauvais, ni de l’incendie de l’abbaye de Saint-Lucien, ni d’un grand nombre d’autres faits racontés par Froissart, mais son silence ne peut porter atteinte à la véracité de l’historien français. L’étendue d’une lettre ne comportait pas tous les détails dans lesquels Froissart est obligé d’entrer. Chaque fois que nous trouverons quelque différence entre les deux récits, nous aurons soin de le remarquer et d’examiner lequel mérite la préférence.
  3. La lettre de Michel de Northburgh paraît supposer que le roi d’Angleterre ne coucha point à Poix, et que cette place fut emportée en passant par l’arrière-garde de son armée.