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LIVRE I. — PARTIE I.

point ne l’assaillirent ; et partout trouvoient-ils sur la rivière de Seine les ponts défaits ; et tant allèrent qu’ils vinrent jusques à Poissy, et trouvèrent le pont rompu et défait ; mais encore étoient les estaches et les gites en la rivière. Si s’arrêta là le roi et y séjourna par cinq jours. Entrementes fut le pont refait, bon et fort pour passer son ost aisément et sans péril : si coururent ses maréchaux jusques bien près de Paris, et ardirent Saint-Germain-en-Laye et la Montjoie[1], Saint-Cloud et Boulogne de-lez Paris, et le Bourg-la-Roine ; dont ceux de Paris n’étoient mie bien assurs, car elle n’étoit point adonc fermée : si se doutoient que les Anglois ne venissent par outre jusque là.

Adonc s’émut le roi Philippe, et fit abattre tous les appentis de Paris, pour chevaucher plus aisément parmi Paris ; et se partit de Paris et s’en alla à Saint-Denis, là où le roi de Behaigne, messire Jean de Hainaut, le duc de Lorraine, le comte de Flandre, le comte de Blois, et très grand’baronie et chevalerie étoient. Quand les gens de Paris virent le roi leur seigneur partir, si furent plus effrayés que devant ; et vinrent à lui en eux jetant à genoux, et dirent : « Ha ! cher sire et noble roi, que voulez-vous faire ? Voulez-vous ainsi laisser et guerpir la bonne cité de Paris ? Et si sont vos ennemis à deux lieues près ; tantôt seront en cette ville, quand ils sauront que vous en serez parti ; et nous n’avons ni n’aurons qui nous defende contre eux. Sire, veuillez demeurer et aider à garder votre bonne cité. » Donc répondit le roi et dit : « Ma bonne gent, ne vous doutez de rien ; jà les Anglois ne vous approcheront de plus près. Je m’en vais jusques à Saint-Denis devers mes gens d’armes ; car je vueil chevaucher contre les Anglois et les combattre, comment qu’il soit. »

Ainsi rapaisa le roi de France la communité de Paris, qui étoit en grand doute que les Anglois les venissent assaillir et détruire, ainsi qu’ils avoient fait ceux de Caen. Et le roi d’Angleterre se tenoit en l’abbaye de Poissy-les-Dames ; et fut là le jour de Notre-Dame my-août ; et y tint sa solennité ; et sist à tables en draps fourrés d’ermines, de vermeille écarlate, sans manches.


CHAPITRE CCLXXIV.


Comment messire Godefroy de Harecourt déconfit ceux d’Amiens ; et comment le roi d’Angleterre entra au pays de Beauvoisin.


Ainsi que le roi d’Angleterre chevauchoit[2] et qu’il alloit, son ost traînant, messire Godefroy de Harecourt chevauchoit d’autre part d’un côté, et faisoit l’avant-garde atout cinq cents hommes et douze cents archers. Si encontra le dit messire Godefroy d’aventure grand’foison de bourgeois d’Amiens, à cheval et à pied, et en grand arroy, qui s’en alloient au mandement du roi Philippe vers Paris. Si furent assaillis et combattus vîtement de lui et de sa route ; et ceux se défendirent assez vaillamment, car ils étoient grand’plenté de bonnes gens bien armés et bien ordonnés, et avoient quatre chevaliers du pays d’Amiénois à capitaines. Si dura cette bataille assez longuement, et en y eut de première venue plusieurs rués jus d’un côté et d’autre : mais finablement les Anglois obtinrent la place ; et furent les dits bourgeois déconfits et presque tous morts et pris ; et conquirent les Anglois tout leur charroy et leur harnois où il avoit grand’foison de bonnes choses ; car ils alloient â ce mandement devers le roi moult étoffément, pourtant qu’ils n’avoient été de grand temps hors de leur cité. Si en y eut bien morts sur la place douze cents. Et retourna le dit messire Godefroy sur le vespre devers le gros ost du roi, et lui recorda son aventure, dont il fut moult lie, quand il entendit que la besogne avoit été pour ses gens[3]. Si chevaucha le roi avant et entra au pays de Beauvoisin ardant et exillant le plat pays, ainsi qu’il avoit fait en Normandie ; et chevaucha tant en telle manière qu’il s’en vint loger en une moult belle et riche abbaye que on appelle Saint-Lucien, et siéd assez près de la cité de Beauvais : si y geut le roi une nuit.

Lendemain, sitôt qu’il s’en fut parti, il regarda derrière lui, et vit que l’abbaye étoit toute enflammée : de ce fut-il moult courroucé, et s’arrêta sur les champs ; et dit que ceux qui

  1. Le château de La Montjoie était sur la montagne au bas de laquelle était située l’abbaye de Joyenval.
  2. Il partit de Poissy, pour s’acheminer vers la Picardie, le 16 août, lendemain de l’Assomption.
  3. Les autres historiens racontent avec beaucoup plus de détails les ravages que fit le roi d’Angleterre dans les environs de Paris, et les efforts de Philippe de Valois pour l’engager à combattre.