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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

ainsi que messire Godefroy de Harecourt faisoit ; et le roi chevauchoit entre ces batailles ; et tous les soirs se trouvoient ensemble.


CHAPITRE CCLXIX.


Comment le roi de France fit son mandement de gens d’armes pour aller combattre le roi d’Angleterre qui gâtoit son pays de Normandie.


Ainsi par les Anglois étoit ars et exillé, robé, gâté et pillé le bon pays et gras de Normandie ; dont les plaintes et les nouvelles vinrent au roi de France, qui se tenoit en la cité de Paris, comment le roi d’Angletere étoit arrivé en Cotentin et gâtoit tout devant lui à destre et à senestre. Dont dit le roi Philippe et jura que jamais ne retoumeroient les Anglois sans être combattus, et les destourbiers et les ennuis qu’ils faisoient à ses gens leur seroient cher vendus. Si fit tantôt et sans délai le dit roi lettres écrire à grand’foison ; et envoya premièrement devers ses bons amis de l’Empire, pour ce qu’ils étoient plus lointains : premièrement au gentil roi de Behaigne que moult aimoit, et aussi à messire Charles de Behaigne son fils, qui dès lors s’appeloit roi d’Allemaigne, et en étoit roi notoirement, par l’aide et pourchas de messire Jean son père et du roi de France ; et avoit jà enchargé les armes de l’Empire.

Si leur pria le roi de France, si acertes comme il put, qu’ils vinssent à tout leur effort, car il vouloit chevaucher contre les Anglois qui lui ardoient son pays. Les dessus nommés seigneurs ne se voulurent mie excuser, mais firent leur amas de gens d’armes, d’Allemands, de Behaingnons et de Lucembourcins, et s’en vinrent en France devers le roi efforcément. Aussi escripsit le dit roi au duc de Lorraine, qui le vint servir à plus de quatre cents lances ; et y vint le comte de Saumes en Saumois, le comte de Salebruche, le comte de Flandre, le comte Guillaume de Namur, chacun à moult belle route. Encore escripsit-il et manda espécialement messire Jean de Hainaut, qui nouvellement étoit allié à lui, par le pourchas du comte Louis de Blois son fils[1] et le seigneur de Fagnoelles. Si vint le gentil sire de Beaumont, messire Jean de Hainaut, servir le roi de France moult étoffément et à grand’foison de bonne bachelerie de la comté de Hainaut et d’ailleurs. Dont le roi eut si grand’joie de sa venue qu’il le retint pour son corps et de son plus privé et espécial conseil. Ainsi manda le roi de France partout gens d’armes, là où il les pensoit à avoir, et fit une des grosses assemblées de grands seigneurs, ducs, comtes, barons et chevaliers, que on eût vues en France cent ans paravant. Et pourtant qu’il mandoit ainsi gens partout en lointains pays, ils ne furent mie sitôt venus ni assemblés : ainçois ot le roi d’Angleterre mallement couru et ars tout le pays de Cotentin et de Normandie, ainsi que vous orrez recorder en suivant.


CHAPITRE CCLXX.


Comment le roi d’Angleterre prit la bonne ville de Saint-Lo en Cotentin, et fut toute robée et pillée.


Vous avez ci-dessus bien ouï conter l’ordonnance des Anglois, et comment ils chevauchoient en trois batailles, les maréchaux à destre et à senestre, et le roi et le prince son fils en la moyenne. Et vous dis que le roi chevauchoit à petites journées, car ils étoient toujours logés entre tierce et midi ; et trouvoient le pays si plentureux et si garni de tous vivres qu’il ne leur convenoit faire nulles pourvéances fors que de vins ; et si en trouvoient-ils assez par raison. Si n’étoit pas de merveille si ceux du pays étoient effrayés et ébahis ; car avant ce ils n’avoient oncques vu homme d’armes, et ne savoient que c’étoit de guerre ni de bataille. Si fuyoient devant les Anglois de si loin qu’ils en oyoient parler ; et laissoient leurs maisons et leurs granges toutes pleines, ni ils n’avoient mie art ni manière du sauver ni du garder. Le roi d’Angleterre et le prince de Galles son fils avoient en leur route environ trois mille hommes d’armes, six mille archers et dix mille sergens de pied, sans ceux qui chevauchoient avec les maréchaux. Si chevaucha le roi en telle manière que je vous dis, ardant et exillant le pays, et sans point briser son ordonnance ; et ne tourna point vers la cité de Coutances, ains s’en alla devers la grosse ville de Saint-Lo en Cotentin, qui pour le temps étoit bonne ville riche et marchande, et valoit trois fois tant que la cité de Coutances. En celle ville de Saint-Lo en Cotentin avoit très grand’draperie et grosse, et

  1. Louis de Blois avait épousé la fille de Jean de Hainaut.