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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

moi, car la terre me désire[1]. » De cette réponse furent tous réjouis. Ainsi se logea le roi ce jour et la nuit, et encore lendemain tout le jour et toute la nuit[2], sur le sablon.

Entrementes on déchargea la navie des chevaux et de tout leur harnois, et eurent conseil là entre eux comment ils se pourroient maintenir. Si fit le roi deux maréchaux en son ost, l’un messire Godefroy de Harecourt, et l’autre, le comte de Warvich, et connétable, le comte d’Arondel ; et ordonna le comte de Hostidonne à demeurer sur leur navie, à cent hommes d’armes et quatre cents archers ; et puis eurent autre conseil comment ils chevaucheroient. Ils ordonnèrent leurs gens en trois batailles, dont l’une iroit d’un coté tout suivant la marine à destre, et l’autre à senestre, et le roi et le prince son fils iroient par terre au milieu ; et devoit toutes les nuits la bataille des maréchaux retraire au logis du roi. Si commencèrent à chevaucher et à aller ces gens d’armes, ainsi que ordonné étoit. Ceux qui s’en alloient par mer, selon la marine[3], prenoient toutes les nefs, petites et grands, qu’ils trouvoient, et les emmenoient avec eux. Archers et gens de pied alloient de côté, selon la marine, et roboient et pilloient et prenoient tout ce qu’ils trouvoient. Et tant allèrent et ceux de mer et ceux de terre[4] qu’ils vinrent à un bon port de mer et une forte ville que on appelle Barfleus, et la conquirent tantôt, car les bourgeois se rendirent, pour doute de mort[5]. Mais pour ce, ne demeura mie que toute la ville ne fût robée, et pris or, argent et riches joyaux ; car ils en trouvèrent si grand’foison, que garçons n’avoient cure de draps fourrés de vair ; et firent tous les hommes issir hors de leur ville et entrer ès vaisseaux avec eux, parcequ’ils ne vouloient mie que ces gens se pussent rassembler, pour eux gréver quand ils seroient passés outre.


CHAPITRE CCLXVII.


Comment les Anglais ardirent et robèrent une partie de Chierebourc et prirent Montebourc et Carentan, lesquels ils ardirent et robèrent et emmenèrent les gens avec eux.


Après ce que la ville de Barfleus fut prise et robée, sans ardoir, ils s’espartirent parmi le pays, selon la marine. Si y firent une grand’partie de leurs volontés, car ils ne trouvèrent homme qui leur devéast. Et allèrent tant qu’ils vinrent à une bonne ville grosse et riche et port de mer, qui s’appelle Chierebourc. Si en ardirent et robèrent une partie ; mais dedans le châtel ne purent-ils entrer, car ils le trouvèrent trop fort et trop bien garni de gens d’armes, et puis passèrent outre, et vinrent vers Montebourc et Valongne[6] : si la prirent et robèrent toute, et puis

    l’ost sauntz assent et saunz arraie assaillèrent le pount qe fust mult bien efforcé des bretages et barrers ; et avoient mult afeare ; et les Fraunceys défendèrent ledit pount fortement et à eaux portèrent mult bien devant qu’il peot estre pris sour eaux. Et adonqes fusrent pris les ditz constable et Chamberlain et al mountance de cent chivalers et des esquiers, six vingt ou sept vingt, et mortz chivalers, esquiers et aultres gentz de la ville graunt foisoun en les rues, mesons et ès gardeins : homme ne poet mye savoir quelle nombre des gentz de bien, parceo qu’ils fusrent tantost despoillez qe homme ne les purroit connustre. Et nul gentil homme mort de noz, fors qe une esquier qe fust blescé et morust deux jours après. Et fusrent trové en la ville, vines, vitailles et aultres biens et chateux sauns nombre ; et est la ville plus grosse qe nulle ville d’Engleterre hors pris Londres. Et quaunt le roi se remua de les Hogges, entour CC niefs demurrèrent, les queux alèrent à Rothemasse et alèrent et ardèrent la païs II lieges ou III deinz la terre, et pristrent plusours biens et amenèrent à lours niefs, et issint alèrent puis à Cherburgh où il y a une bone ville et fort chastiel et une beal Abbeie et noble, et ount arz ladite ville et l’Abbeie, et tout ount arz par toutz les costez sour la mear de Rothemasse à tanqe Hostrem sour la Havene de Caame q’amonte à six vingt lieges Engleis. Et est le nombre des niefs qu’ils ount arz soixante un de guerre od chastiel devaunt et derere, et vingt trois craiers, saunz aultres meindres vesseaux plusours de vingt un come de trente tonels de vyn. Et le jeofdy10 après ceoqe le roy fust venu devaunt Caance, ceaux de la cité de Bious demaundrent à notre seigneur le roy qu’ils se voudroient rendre à luy eaux et lour bille et luy faire homage ; meas il ne lez voleit resevre pour ascuns enchesouns et tanqe les purreit salver de domage. »

    1 En 1346, le 12 de juillet étoit un mercredi ; ainsi le mardi suivant était le 18.

    2 Le 14 juillet.

    3 Le 18 juillet.

    4 La Vire.

    5 Le samedi 22 juillet.

    6 Cette phrase ne présente aucun sens ; il y manque vraisemblablement quelques mots.

    7 Le 26 juillet.

    8 L’abbaye de Saint-Étienne de l’ordre de saint Benoît.

    9 L’abbaye de la Trinité.

    10 Le jeudi 27 juillet.

  1. C’est le mot de César : Je t’embrasse, ô terre d’Afrique !
  2. Édouard demeura plus long-temps à La Hogue.
  3. On doit vraisemblablement entendre ceci du comte de Huntingdon, qui, avec la flotte et les troupes qu’on lui avoit laissées, allait rasant les côtes et s’emparait de tous les vaisseaux qu’il rencontrait.
  4. Froissart paraît vouloir désigner ici le corps d’armée qui suivit les bords de la mer en prenant sur la gauche de La Hogue.
  5. Suivant la lettre de Northburgh, les habitans de Barfleur ne se rendirent point aux Anglais ; ils s’enfuirent à leur approche et abandonnèrent la ville : ainsi, ce que dit Froissart qu’ils furent embarqués sur la flotte anglaise pourrait bien être faux.
  6. Valogne, ville à quatre lieues de Cherbourg et environ deux de Montbourg.