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LIVRE I. — PARTIE I.

dura parmi cet état jusques à la Saint-Remy[1] ; et y avoit à siége bien cent mille hommes armés, à cheval et à pied. Et ne pourroit-on raconter, par nulle histoire, siége où on eût fait tant de beaux faits d’armes et de grands appertises, qu’il avint d’une part et d’autre. Car oncques gens assiégés, ne souffrirent tant ni ne se défendirent si vaillamment, comme ceux qui furent enclos dedans Aiguillon, si comme vous orrez ci-après. Car tous les jours les convenoit combattre deux fois ou trois à ceux de l’ost, et le plus souvent du matin jusques à la nuit, sans cesser ; car toudis leur survenoient nouvelles gens, Gennevois et autres, qui ne les laissoient reposer. Les manières des assauts, comment et de quoi, je le vous veux déclarer et pleinement deviser.

  1. Froissart exagère la durée de ce siége : l’auteur de l’histoire de Languedoc a prouvé par les comptes du domaine des sénéchaussées de Toulouse, de Carcassoune et de Beaucaire, qu’il était levé au plus tard le 22 août. Une lettre du comte de Derby lui-même, conservée par Robert d’Avesbury, fixe invariablement la date de cet événement au dimanche prochain avant la fête de saint Barthélémy. Or cette fête, en 1346, tombait au jeudi 24 août ; ainsi le dimanche précédent était le 20. Comme la lettre que nous venons de citer indique la marche et les principales opérations de l’armée anglaise depuis le 11 ou le 12 de ce mois jusque vers le milieu d’octobre, nous la rapporterons tout entière.

    Endroit des Novels saundroit. Sachez que devaunt le feste de l’Assumpcion Notre-Dame bien trois jours nous remuasmes de la Roel devers les parties de Bruggerak et avoms assemblé illesqes toutz lez seigneurs de Gascoigne et autres gentz q’estoient hors de establies, à l’entent de chivacher et avoms illesque consail ove leys seigneurs sus dits, si qe avaunt notre partir d’illesqes nous veinent ascuns gentz chivalers et aultres pour demander trèwes de par les Fraunceys qe gesoient unqore à siége devant Aquillon. Mais puisqe nous savoms qe monsr. le roy est arivé en Normandye, nous ne vodroms mye assentir à nulle trewe ; et sour ceo les enemys se levèrent du siége la dismenge proschein devaunt le feste de seint Barthu1, et s’en départirent mult ledement, qar ils perdirent graunt partie de lour biens et de lour gentz et lessèrent lour tentes et tout le pluis de lour herneis : si que sitost qe nous le savoms nous tenismes avaunt notre chemyn en Angeneys et venismes devaunt la Villeréal q’est une bone ville du royalme, laquelle nous estoit rendu et aultres villes et chasliels d’entour tut plain. Etquaunt avoms establé cele ville et la païs nous chivachoms tut la pays et alasmes droit à Tonynges et Aquillon et les feismes establer auxy et la païs environ. Et puis reparasmes ariere à la Réole et y demurrasmes bien huit jours, et avoms illesqes consail, et avoms illesqes tout la païs, et départismes notre ost en treis et lessames le seigneur de la Brette, monsr Bérard de Bret seneschal de Gascoyne, monsr Alexandre de Camont et aultres devers les parties de Besades ; le seigneur Duracz et aultres seigneurs de Augeneys lessames celes parties et tenismes avaunt notre chemyn vers les parties de Centoyne2 od mil hommes d’armes. Et remuasmes le douzième jour de septembre et geusmes en une bone ville qe nous fust mesme le jour renduz, la ville de Salveterre. Et lendemayn quaunt nous avoms pris serment de céaux de la ville, nous tenismes avaunt notre chemyn bien sept jours saunz assaillir une ville ou chastiel tanqe nous venismes au chastiel de Nau3 qu’est sour la rivière de Charente, et illeosqes feismes reparailler le pount q’estoit debrusé qar l’eawe estoit si perfounde qe homme ne poet passer par ailleurs, et passâmes illeosqes lendemain. Et avoms cele jour novels qe les gents monsr Wautier de Mauny, q’avoient conduyt des Fraunceis d’aler au roy par terre, furent pris et emprisonés deinz la ville de Seint-John Aungelyn ; et ensi fustrent, et monseigneur Wautier estoit eschapé soy tierce à graunt payne : si qe nous tenismes avaunt notre chemyn devers la dite ville et l’assaillames et fust gayné par force, Dieu mercy, et les gentz gettés hors du prisone ; et demurrasmes huit jours et establioms la ville. Et ceulx de la ville nous fisrent serment et deviendrent Engleis, et deivent de lour costage demene duraunt la guerre trover CC hommes d’armes et DC à pié en garnisoun de la dite ville ; et en temps du peès acrestrent lour rentes au roy pluis par an q’ils ne soleient paîer à roy de Fraunce chescun an de III mil escutz. Et lendemayn de seint Michel nous chivachasmes vers la cité de Peiters, et geusmes une nuyt devaunt la ville de Lysingham q’est une forte ville, si qe homme la aloit assailler, et fust gagné par assaut, et le chastiel nous fust rendu q’est un de pluis nobles chastiels et de pluis fort qe sount garres en Fraunce ou en Gascoigne ; et nous establoms le chastiel et la ville et y lessames bien C hommes d’armes et aultres gentz à pié ovesqe eux et chivachasmes devaunt la citée de Peiters et ils requeresmes. Mais ils ne voleient rien faire, qar il lour sembla lour ville assetz forte, et si estoient assetz des gentz, si qe homme l’assailla, qe fust le proschein mersqerdy après le Seint-Michel4 ; et fust par force gayné, et toutz ceaux de la ville fusrent pris ou mortz. Et les seigneurs q’estoient dedeinz, un évesqe et bien IIII barons, quaunt ils virent la prise de la ville s’en alèrent d’autre part. Et nous demurrasmes y bien huit jours ; et estoioms à l’escrivere des gentz de cestes al ville de Seint-Johan. Et avons de bones villes et chastiels qe nous sount rendus entour, et ensi avons fait un beal chivaché, le Dieux mercy, et sumes revenuz à Seint-Johan, et pensoms d’illesqes tenir notre chemym devers Burdeaux, quelle chose sera forte à faire à ceo qe les enemys sount quillez en païs ; mais espoiroms de faire bien od l’ayde de Dieux.

    1 Le dimanche 20 août.

    2 Probablement Saintonge ; car il dut traverser cette province pour se rendre, comme il le dit plus bas, sur les bords de la Charente.

    3 Peut-être Château-Neuf sur la Charente.

    4 La fête de Saint-Michel fut cette année le vendredi 29 septembre : ainsi mercredi suivant fut le 4 octobre.