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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

s’en passèrent et excusèrent ; ni nul n’en fit partie pour le sire de Mauny. Si le fit le comte de Valois ensevelir en ce temps en une petite chapelle, qui étoit pour le temps dehors la Réole ; et quand le comte l’eut conquise, cette chapelle fut mise au clos de la ville. Et bien souvenoit au vieil homme de toutes ces choses ; car il avoit été présent au dit sire de Mauny mettre en terre ; et pour ce en parloit-il si avant et si certainement.


CHAPITRE CCXLI.


Comment messire Gautier de Mauny trouva le tombel de son père et en fit porter les os, et ensevelir chez les frères mineurs de Valenciennes.


Ainsi le sire de Mauny, avec le prud’homme, s’en vint au propre lieu où son père avoit été jadis enseveli ; et avoit un petit tombel de marbre sur lui, que ses varlets y avoient fait mettre. Quand ils furent venus sur le tombel, le vieil homme dit au sire de Mauny : « Certes, sire, ci dessous gît et fut enseveli messire votre père, encore y a écrit sur le tombel écriture qui témoignera que je dis vérité. » Adonc s’abaissa messire Gautier, et regarda sur le tombel, et y aperçut voirement lettres écrites en latin, lesquelles il fit lire par un sien clerc : si trouvèrent que le prud’homme disoit voir. De ces nouvelles fut le sire de Mauny moult lie ; et fit ôter le dit tombel et lever dedans deux jours après, et prendre les os de son père et mettre en un sarcueil ; et puis les envoya à Valenciennes en la comté de Hainaut ; et de rechef les fit ensevelir dedans l’église des Frères Mineurs, moult honorablement, assez près du chœur du moûtier ; et lui fit faire depuis son obsèque très révéremment, et encore lui fait-on tous les ans ; car les frères de laiens en sont bien rentés. Or retournerons au siége de la Réole, du dit châtel où le comte Derby sist plus de onze semaines.


CHAPITRE CCXLII.


Comment messire Aghos des Baux rendit au comte Derby le châtel de la Réole et s’en partit lui et ses compagnons, atout leurs armures seulement.


Tant ouvrèrent les mineurs que le comte Derby avoit mis en œuvre, qu’ils vinrent dessous le châtel, et si avant qu’ils abattirent une basse tour des chaingles du donjon. Mais à la maître tour du donjon ne pouvoient nul mal faire, car elle étoit maçonnée sur une roche, dont on ne pouvoit trouver le fond. Bien s’aperçut messire Aglot de Baux que on les minoit : si en fut en doute ; car au voir dire, c’est grand effroi pour gens qui sont en une forteresse, quand ils sentent que on les mine. Si en parla à ses compagnons, par manière de conseil, à savoir comment ils s’en pourroient maintenir ; et bien leur dit qu’ils étoient en grand péril, puisque on leur alloit par ce tour. Les compagnons ne furent mie bien assurés de ces paroles ; car nul ne meurt volontiers, puisqu’il peut finer par autres gages[1]. Si lui dirent les chevaliers : « Sire, vous êtes notre capitaine et notre gardien, si devons tous obéir et user par vous. Voir est que nous nous sommes moult honorablement ici tenus et n’aurons nul blâme en avant de nous composer au comte Derby : si parlons à lui, à savoir s’il nous laisseroit jamais partir, sauf nos corps et nos biens, et nous lui rendrons la forteresse, puisque autrement ne pouvons finer. »

À ces paroles s’accorda messire Aghos des Baux, et vint jus de la grosse tour ; si bouta sa tête hors d’une basse fenêtre qui là étoit, et fit signe qu’il vouloit parler au quelque fût de l’ost. Tantôt fut appareillé qui vint avant. On lui demanda qu’il vouloit dire. Il dit qu’il vouloit parler au comte Derby, ou à messire Gautier de Mauny, On lui répondit que on leur feroit savoir volontiers. Si vinrent ceux qui là avoient été, devers le comte Derby, et lui recordèrent ces nouvelles. Le comte, qui eut grand désir de savoir quelle chose messire Aghos vouloit dire, monta tantôt à cheval et emmena avec lui messire Gautier de Mauny et messire Richard de Stanfort, et leur dit : « Allons jusques à la forteresse voir et savoir que le capitaine nous veut. » Si chevauchèrent celle part. Quand ils furent là venus,

    de Mirepoix et qu’on saisît ses biens ; mais que l’année suivante il lui donna main-levée de la saisie. L’histoire de Languedoc nous fournit le nom du meurtrier et Froissart celui du mort. Il est assez singulier que le savant de Vaissette, qui cite si souvent Froissart, n’ait pas connu ce passage.

  1. Quand il peut sortir d’embarras autrement.