meurer la ville en paix. Cils furent envoyés à Bordeaux. Ainsi demeura Mont-Segur en composition, et fut l’ost rafraîchie des pourvéances de la ville : mais point n’entrèrent les Anglois dedans, et passèrent outre en courant et exillant le pays. Si le trouvèrent plein et dru, et grosses villes bâties où ils recouvroient de tous vivres à grand’foison.
CHAPITRE CCXXXV.
Tant exploita l’ost au comte Derby qu’il vint assez près d’Aiguillon. Adonc y avoit un châtelain, qui n’étoit mie trop vaillant homme d’armes, si comme il le montra ; car sitôt qu’il sçut le comte Derby approchant, il fut si effrayé et eut si grand’doute de perdre corps et biens, qu’il ne se fit point assaillir, mais vint au devant du comte et se rendit, sauf ses biens et ceux de la ville et du châtel, qui étoit adonc un des forts du monde et le moins prenable. De quoi ceux du pays d’environ furent moult émerveillés quand ils en ouïrent les nouvelles, espécialement ceux de Toulouse, car c’est à dix-sept lieues près. Et depuis, quand l’écuyer qui Aiguillon avoit rendu vint à Toulouse, les hommes de la ville le prirent et l’accusèrent de trahison, et le pendirent sans mercy. Quand le comte Derby eut la saisine de la ville et du châtel d’Aiguillon, il en fut si réjoui, qu’il n’eût mie été si lie si le roi d’Angleterre eut d’autre part conquis cent mille florins ; pour cause qu’il le véoit bien séant et en bonne marche, en la pointe de deux grosses rivières portans navire[1] ; et le rafraîchit et répara de tout ce qu’il convenoit, si comme pour y avoir son retour, et en faire son garde corps. Et quand il s’en partit, il le laissa en la garde d’un bon chevalier sage et vaillant, qui s’appeloit messire Jean de Gombry. Puis chevaucha outre le dit comte atout son ost, et vint à un châtel que on appelle Ségrat[2] : si le conquit par assaut, et furent tous morts les soudoyers étranges qui dedans étoient. Et de la endroit ils s’en vinrent devant la ville de la Réole.
CHAPITRE CCXXXVI.
Or vint le comte Henry Derby atout ses gens devant la Réole, et l’assiégea fortement et destroitement, et mit bastides sur les chemins en telle manière que nulles pourvéances ne pouvoient venir ni entrer dedans la ville. De la ville et du châtel de la Réole étoit capitaine pour le temps un chevalier de Provence, qui se nommoit messire Aghos des Baulx[3] ; et avoit dessous lui et de sa charge plusieurs bons compagnons, qui la ville tinrent suffisamment. Si vous dis qu’il y eut plusieurs grands assauts ; car presque tous les jours y assailloit-on, et traioient et escarmouchoient les archers à ceux de dedans. Si en y avoit souvent des blessés des uns et des autres. Tant y fut le siége que en la saison bien avant ; car ils cuidoient être confortés du roi de France ou du duc de Normandie : mais non furent. Dont il convint que ceux de Mont-Segur se missent en l’obéissance du roi d’Angleterre, par la composition dessus dite ; et y envoya le comte Derby, séant devant la Réole, le sire de Mauny, pourtant qu’il avoit fait le premier traité de la composition ; et leur remontra sur quoi et comment ils étoient composés, et que de ce ils avoient livré otage. Ceux de Mont-Segur virent bien, qu’ils ne pouvoient plus varier. Si se rendirent et devinrent hommes par foi et hommage au comte Derby, qui représentoit en ces choses la personne du roi d’Angleterre, et mêmement messire Hugues de Batefol devint homme aussi au dit comte avec ceux de Mont-Segur, à certains gages qu’il avoit du comte Derby pour lui et ses compagnons.
CHAPITRE CCXXXVII.
Les Anglois qui séoient devant la Réole, et qui y furent neuf semaines et plus, avoient fait ouvrer et charpenter deux beffrois de gros merrains à trois étages, et séant chacun beffroi sur quatre roes ; et étoient ces beffrois, du lez de la ville, tous couverts de cuir boulu, pour défen-