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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

que à trente archers. Si se partirent de Langon et cheminèrent devers une ville appelée le Lac[1].


CHAPITRE CCXXIV.


Comment ceux du Lac se rendirent au comte Derby, et plusieurs autres forteresses qui cy s’ensuivent, les unes par force les autres par traités.


Quand ceux de la ville du Lac sentirent les Anglois venir si efforcément, et qu’ils avoient pris Bergerac et le châtel de Langon, ils n’eurent mie conseil d’eux tenir, tant en furent effrayés ; et s’en vinrent au devant du comte Derby, et lui apportèrent les clefs de la ville, et le reconnurent à seigneur, au nom du roi anglois. Le comte Derby prit la féauté d’eux, et passa outre, et s’en vint à Maudurand, et le gagna d’assaut sur ceux du pays ; et y fut pris un chevalier du pays, qui s’appeloit le sire de Montbrandon. Si laissa le dit comte Derby gens d’armes dans la forteresse, et puis passèrent outre et vinrent devant le châtel de Lamougies. Si l’assaillirent et le prirent d’assaut tantôt, et le chevalier qui étoit dedans, et l’envoyèrent tenir prison à Bordeaux. Puis chevauchèrent devers Pinach et le conquirent ; et après la ville et le châtel de la Liève[2], et s’y rafraîchirent par trois jours. Au quatrième jour ils s’en partirent et vinrent à Forsath[3], et le gagnèrent assez légèrement, et en après la tour de Prudaire ; et puis chevauchèrent devers une bonne ville et grosse que on appelle Beaumont en Laillois, qui se tenoit liégement du comte de Lille. Si furent les Anglois trois jours pardevant, et y firent maints grands assauts ; car elle étoit bien pourvue de gens d’armes et d’artillerie qui la défendirent tant qu’ils purent durer. Finablement elle fut prise, et y eut grand’occision de ceux qui dedans furent trouvés ; et la rafraîchit le comte Derby de nouvelles gens d’armes, et puis chevaucha outre, et vint devant Montagrée : si le prit aussi d’assaut, et le chevalier qui dedans étoit, et l’envoya tenir prison à Bordeaux. Et ne cessèrent les Anglois de chevaucher tant qu’ils vinrent devant Lille, la souveraine ville du comte, dont messire Philippe de Dyon et messire Arnoul de Dyon[4] étoient capitaines. Quand le comte Derby et ses gens furent venus devant Lille, ils l’environnèrent et regardèrent qu’elle étoit bien prenable : si firent traire leurs archers avant et approcher jusques aux barrières. Cils commencèrent à traire si fortement, que nuls de ceux de la ville n’osoient apparoir pour défendre ; et conquirent ce premier jour les barrières et tout jusques à la porte ; et sur le soir ils se retrairent. Quand vint le matin, de rechef ils commencèrent à assaillir fort et appertement en plusieurs lieux, et ensonnièrent si ceux de la ville, qu’ils ne savoient auquel entendre.

Les bourgeois de la ville, qui doutèrent le leur à perdre, leurs femmes et leurs enfans, regardèrent que, au long aller, ils ne se pourroient tenir : si prièrent à deux chevaliers qui là étoient qu’ils traitassent à ces seigneurs d’Angleterre, par quoi ils demeurassent en paix et que le leur fut sauve. Les chevaliers, qui aussi véoient bien le péril où ils étoient, s’y accordèrent assez légèrement, et envoyèrent un héraut de par eux au comte Derby, pour avoir répit d’un jour tant seulement, pour composer. Le héraut vint devers le dit comte qu’il trouva sur les champs assez près de la ville, et lui démontra ce pour quoi il étoit là envoyé. Le comte s’y accorda et fit retraire ses gens, et s’envint jusques aux barrières de la ville parlementer à ceux de dedans ; de-lez lui le baron de Stanfort et messire Gautier de Mauny. Là furent eux en grand parlement ensemble, car le comte Derby vouloit qu’ils se rendissent simplement, et ils ne l’eussent jamais fait. Toutes voies, accordé fut que ceux de la ville de Lille se mettroient en l’obéissance du roi d’Angleterre ; et de ce envoyèrent eux douze de leurs bourgeois en la cité de Bordeaux, en nom de créant[5] ; et sur ce les chevaliers et écuyers françois qui là étoient pouvoient partir et aller quelque part qu’ils vouloient. Ainsi eut le comte Derby en ce temps la ville de Lille en Gascogne, et se partirent sur sauf conduit les gens d’armes qui dedans étoient, et s’en allèrent devers la Réole.

  1. Château dans le diocèse de Narbonne.
  2. Peut-être Levèze, diocèse de Condom.
  3. Tossat, diocèse de Toulouse.
  4. Froissart a dit (chap. 222) qu’Arnoul de Dyon était capitaine de Lamouzie, et au commencement de ce chapitre qu’il avait été fait prisonnier et conduit à Bordeaux, puis il le fait ici capitaine de Lille. Il faut donc supposer qu’il avait été promptement remis en liberté.
  5. C’est-à-dire, comme otages.